Un mal pour un bien, l’expérience de la paternité en détention au travers du parloir - HAL Accéder directement au contenu
Communication dans un congrès Année : 2016

Un mal pour un bien, l’expérience de la paternité en détention au travers du parloir

Résumé

L’arrivée en prison malmène les rôles sociaux anciennement joués par les détenus qui ne sont plus en mesure de participer pleinement « aux rites fondamentaux de la vie collective » (Chantraine, 2004, p. 236) ; la paternité n’en est pas exclue. Quelques chercheures se sont interrogées sur la spécificité des liens familiaux et notamment leur maintien (Bouchard, 2007 ; Ricordeau, 2008). Il s’agit d’un processus qui permet aux détenus à la fois de conserver des liens avec le dehors et de préparer au mieux leur réinsertion future. Dans la lutte contre la récidive, l’administration pénitentiaire cherche à valoriser ces liens mais un préjugé persiste : l’incompatibilité des identités paternelles et carcérales. Si la population en détention est composée à 97% d’homme , les études sur la paternité se font rares. Au contraire, les recherches sur les femmes privilégient la maternité, car « derrière la catégorie impersonnelle de « détenue », se cache une femme, mais surtout une mère » (Cardi, 2008, p. 118). La maternité offre une protection accordée aux femmes par la justice pénale qui peut fonctionner comme « un bénéfice secondaire » (Ibid, 2008, p. 120). L’engagement parental des hommes en prison est difficilement reconnu ; souvent jugés inaptes à remplir leur rôle, cet état est renforcé par les institutions (scolaire, judiciaire, sociales) (Allard et al., 2005, p. 30). Nous pouvons présumer un désengagement des pères face à l’insatisfaction des rapports avec leurs enfants en détention, pour autant, ce statut social valorisant de père est susceptible de « les prémunir contre l'exclusion ou la désaffiliation » (Castel, 1994). Cette communication portera sur l’expérience de la paternité en détention à travers un lieu spécifique : le parloir. Ce dernier est appréhendé comme une loupe grossissante des pratiques et des représentations paternelles. Il cristallise à la fois les tensions, les joies et les tristesses de ces hommes. Ce lieu est une soupape qui offre la possibilité d’une rencontre entre l’extérieur et l’intérieur et la pérennisation des rôles investis avant l’incarcération (Chantraine, 2004, p. 229). La visite devient une occasion de reconstituer une quotidienneté, où il s’agit de « tout vivre » et « tout dire » dans un espace et une durée limitée ; situation qui fait écho à celle des pères divorcés ou séparés (Martial, 2013). Le parloir, lieu par excellence dédié à la famille et au couple, s’oppose régulièrement au reste de l’espace carcéral. Dans cet entre-soi masculin, la force et la virilité sont en concurrence avec les émotions, la douceur et la sensibilité. Se reconnaitre père, c’est risquer de mettre en danger son intégrité masculine (Mayol, 2014, p. 129), pour soi et aux yeux des autres. Les détenus qui associent la paternité à l’affectif tranchent avec la virilité ambiante. La visite d’un enfant peut ainsi avoir des conséquences contradictoires. Elle est à la fois une « bouffée d’air » et un gain pour l’estime de soi mais le détenu peut aussi se confronter à son inadéquation face aux représentations du père détenteur de l’autorité et de la loi. Dulac (1997) décrit des attitudes plutôt traditionnelles de la part des hommes peu scolarisés qui se focaliseraient avant tout sur leur rôle de pourvoyeur. Cette vision nous semble réductrice ; l’attachement et la tendresse sont aussi des attitudes qu’ils valorisent. La définition de leur paternité s’inscrit dans une multitude de possibles. Notre démarche repose sur 95 entretiens menés avec 45 détenus issus d’une maison d’arrêt et d’un centre de détention. Dans un lieu coercitif, notre démonstration mettra en évidence, la difficulté de composer entre une paternité axée sur l’autorité, le financier, la distance et une paternité affective et complice. Puis nous décrirons les tensions existantes entre l’être père et l’être homme. Parler d’« un mal pour un bien » décrit une réalité pleine d’ambivalence ; un lieu peu adapté aux relations familiales qui obligent les différents acteurs à composer avec ce qu’ils sont et voudraient être mais qui constitue une réserve de moments de bonheurs rares et chers. Bibliographie ALLARD Francine L., BOURRET Amélie, TREMBLAY Gilles, BERGERON Marc, ROY Isabelle, 2005, « Maintien de l’engagement paternel après une rupture conjugale: point de vue de pères vivant en contexte de pauvreté », Enfances, familles, generations, p. 78-115. BOUCHARD Géraldine, 2007, Vivre avec la prison : Des familles face à l’incarcération d’un proche, Paris, L’Harmattan, 108 p. CARDI Coline, 2008, La déviance des femmes. Délinquantes et mauvaises mères : entre prison, justice et travail social, Thèse de sociologie sous la direction de Numa MURARD, Paris, Denis Diderot Paris 7, 613 p. CASTEL Robert, 1994, « La dynamique des processus de marginalisation : de la vulnérabilité à la désaffiliation », Cahiers de recherche sociologique, 22, p. 11‑27. CHANTRAINE Gilles, 2004, Par-delà les murs : Expériences et trajectoires en maison d’arrêt, Paris, Presses Universitaires de France - PUF, 320 p. DULAC Germain, 1997, « La configuration du champ de la paternité: politiques, acteurs et enjeux », Lien social et Politiques, n°37, p. 133‑143. MARTIAL Agnès, 2013, « Des pères «absents» aux pères «quotidiens»: représentations et discours sur la paternité dans l’après-divorce », Informations sociales, 2, p. 36‑43. MAYOL Séverine, 2014, « De l’homme sans domicile au père sans logement personnel : tensions de genre dans l’intervention sociale », Le Télémaque, 46(2), p. 119. RICORDEAU Gwénola, 2008, Les détenus et leurs proches : Solidarités et sentiments à l’ombre des murs, Paris, Editions Autrement, 265 p.
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Dates et versions

hal-03100341, version 1 (06-01-2021)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03100341 , version 1

Citer

Marine Quennehen. Un mal pour un bien, l’expérience de la paternité en détention au travers du parloir. Journée d’étude "Maternités, Paternités : Représentations, Pratiques, Nouvelles Perspectives", Jun 2016, Université Paris Diderot - Paris 7, Paris, France. ⟨hal-03100341⟩
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Dernière date de mise à jour le 21/04/2024
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