Environnement capacitant : regard pluriel (n° spécial) - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
N°Spécial De Revue/Special Issue Travail et apprentissages : revue de didactique professionnelle Année : 2022

Environnement capacitant : regard pluriel (n° spécial)

Résumé

Extrait de l'introduction du n° spécial Les écrits d’Amartya Sen, économiste et philosophe indien, prix Nobel d’économie (1998) pour sa « Théorie du choix social » (1998), sont aujourd’hui reconnus pour leur apport majeur à l’analyse des inégalités et aux théories philosophiques de la justice. Sen est d’ailleurs surnommé le « Nobel des pauvres » (Juhle, 2016). Son modèle théorique permet d’apprécier la capacité des personnes à être et à faire ce à quoi elles aspirent, leur pouvoir d’agir : leurs capabilités ! Si l’approche par les capabilités issue de l’œuvre d’Amartya Sen (2001, 2004) porte de manière centrale sur une analyse des inégalités et la définition de principes de justice susceptibles de favoriser le développement économique, elle est importée depuis quelques années, de manière particulièrement intéressante, du côté des sciences du travail et de la formation. Dans ce champ, les travaux explorent, entre autres, les pratiques organisationnelles mais aussi celles de gestion des ressources humaines, de travail, d’emploi, d’éducation et de formation dans leurs effets sur le développement des capabilités. Ces travaux cherchent à mettre en lumière des « interventions », des « activités », des « milieux », des « organisations », ou des « environnements » qui seraient capacitants, et dont on trouvera les exemples dans le présent dossier. Tous ont en commun de s’intéresser, à leur manière, et selon leur ancrage disciplinaire (sociologie, économie, sciences de gestion, ergonomie constructive, sciences de l’éducation, etc.), au développement des individus, non aux résultats obtenus mais à ce qu’ils sont effectivement mis en capacité de réaliser, à la manière dont leur environnement soutient ces processus. La focale se trouve déplacée du côté de la coresponsabilité individus-environnement. C’est toute la force du cadre des capabilités, un puissant révélateur de celle-ci. Pourtant la littérature, qu’elle soit ou non académique, regorge aujourd’hui d’un certain nombre d’injonctions concernant l’importance de prendre en charge ses apprentissages, le développement de ses compétences et de son agir professionnel, de « se maximiser » ou de « s’appuyer sur soi-même ». Il reviendrait ainsi à chacun d’être son propre agent de développement. Dans ce contexte, la thématique des capabilités est donc on ne peut plus contemporaine sauf à ne pas se poser les bonnes questions. De quels moyens et de quelles opportunités disposent les individus pour se développer, de quelle manière sont-ils mis en capacité de le faire ? Il apparaît nécessaire de répondre à ces questions si l’on veut faire des capabilités un cadre d’analyse structurant et structuré pour éclairer la question du développement des personnes. Est-il, en effet, possible de maintenir des injonctions les invitant à se développer en oubliant que dans tout processus de développement, il y a de soi mais aussi « de l’autrui ». Cette alchimie renvoie tout à la fois aux dimensions individuelles, collectives et organisationnelles contributives des conditions du développement. Ces dimensions interagissent de manière plus ou moins harmonieuse, jusqu’à se faire parfois ennemies les unes vis-à-vis des autres, voire tout simplement à s’ignorer… mais dans le meilleur des cas, comme en atteste les différentes contributions de ce dossier, à s’interpeller, à se catalyser et à s’articuler. Ce dossier nous invite à réfléchir à la manière dont elles peuvent cohabiter et soutenir le développement des individus, leur « pouvoir d’agir »… et pas seulement leur « pouvoir agir ». Ce dossier se propose de « voyager » (explorer) au travers de différentes expériences, et de nous rendre attentifs à l’ensemble des facteurs qui impactent le pouvoir effectif d’agir des individus dans une situation, un milieu ou un environnement donné. Il permettra d’apprécier la manière dont on peut mesurer le caractère capacitant de ces derniers, ou, a minima, en favoriser la dynamique, car s’il est des environnements capacitants, il est aussi des environnements qui peuvent se montrer incapacitants (au sens de travail ou d’apprentissage empêché) voire « dé-capacitants » (au sens de dégradation des conditions de travail ou d’apprentissage). Il ne s’agit pas, dans ce dossier, de réinventer les organisations pour faire apprendre, ou de les revisiter, mais de contribuer à une définition de la notion d’environnement capacitant, et de la rendre opératoire. S’il existe une littérature abondante à l’endroit des capabilités, la notion d’environnement capacitant est, elle, peu documentée. Souvent utilisée comme une évidence, tel un concept indigène qui fait partie du vocabulaire courant, il devient nécessaire, pour ne pas naturaliser ce type d’environnement, d’en dessiner les contours. La notion d’environnement capacitant évoque, en effet, pour de nombreuses raisons, l’image d’un objet désirable (un environnement qui met en capacité de…), et il est très tentant de l’utiliser, non pas comme un outil d’analyse, mais de le considérer comme l’expression d’une réalité. Il semble aujourd’hui important de mieux l’appréhender, la formaliser et la définir, de la théoriser au travers un ensemble de travaux issus du monde de l’éducation, de la formation, de la santé, du travail et du social pour s’en saisir de manière durable et écologique, et ouvrir nos horizons et nos complémentarités. Questionner l’opérationnalisation du modèle de Sen n’est pas nouveau. En économie ou en socio-économie des auteurs ont constaté des difficultés de mise en œuvre (Vergnies, 2007), voire proposent une grille d’analyse plus robuste issue d’un autre modèle pour mieux intégrer les objectifs d’égalité et de justice soutenus par Sen (Gamel, 2007). Qu’en est-il quand des chercheurs mobilisent ce cadre pour concevoir, transformer, évaluer des dispositifs de formation ? Le modèle de Sen est-il utilisé d’emblée comme grille de lecture ou bien intervient-il dans un second temps pour ouvrir la réflexion sur la possibilité effective de mobiliser les ressources dont disposent les acteurs, et rendre compte des capabilités ?
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-03885501 , version 1 (05-12-2022)

Identifiants

Citer

Solveig Fernagu, Christine Vidal-Gomel. Environnement capacitant : regard pluriel (n° spécial). Travail et apprentissages : revue de didactique professionnelle, N° 23 (2), pp.7-10, 2022, ⟨10.3917/ta.023.0007⟩. ⟨hal-03885501⟩
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