Amour et catastrophes - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2018

Amour et catastrophes

Résumé

Aussi anciens que soient les récits de catastrophes naturelles, c’est la destruction radicale des rapports humains, familiaux, amoureux, amicaux, qu’ils soulignent, comme la conséquence principale et un des éléments constitutifs du désastre. Mais dans la fiction, en cas de raz-de-marée, d’explosion cosmique ou d’épidémie, ce sont presque toujours les tribulations d’un couple qui constituent le sujet principal de l’intrigue. Un continent entier peut s’engloutir, la planète peut voler en éclats, c’est le chagrin de la perte de l’être aimé, et, bien plus souvent, la réunion et la salvation des amants qui semblent concentrer l’intérêt. C’est aussi bien le cas dans les romans baroques du 17e siècle que dans les films catastrophes ou les romans graphiques du 20e et du 21e siècle. Histoire d’amour et récits de catastrophe forment un couple à la fois pérenne, évolutif et problématique. Leur relation peut être éclairée à la lumière d’une réflexion sur les pouvoirs de la fiction, en relation avec des recherches récentes sur les réponses individuelles et collectives aux événements catastrophiques réels. Le propos dans cette contribution ne concerne que les catastrophes naturelles, car celles de l’histoire jouissent de moins de latitude pour développer une trame amoureuse et romanesque. En effet, le registre sentimental peut sembler scandaleusement dérisoire face aux enjeux politiques et mémoriels que revêtent les catastrophes historiques. L’articulation entre affects privés et émotions collectives, en cas de génocide par exemple, se révèle quelquefois hautement conflictuelle. Certes, comme nous le verrons, les héros de fiction face aux catastrophes naturelles se trouvent éventuellement aux prises avec des conflits de normes. Mais la dimension sentimentale est systématiquement présente dans ces fictions, ce qui ne se vérifie pas lorsqu’il s’agit de catastrophes historiques. Les réactions face à l’ennemi qui est à l’origine des guerres et des génocides (vengeance, guerre, enquête, procès…) se substituent souvent à l’intrigue amoureuse ou la font passer au second plan : lorsqu’il s’agit de catastrophes naturelles, l’absence d’ennemi identifiable laisse un espace vide que la fiction amoureuse remplit. À la différence induite par la nature des catastrophes s’ajoute celle qui concerne les représentations factuelles et fictionnelles. Nous nous interrogerons sur cet écart entre fait et fiction, sur la fonction du motif sentimental dans les fictions et sur les importantes variations que cette donnée pérenne subit au cours des siècles. Amour du prochain, amour au sein de la famille, amour des amants se livrent une forme de concurrence dans les représentations, littéraires, picturales, filmiques, dans les romans graphiques et les bandes dessinées. Les formes que prend cette rivalité entre les affects révèlent ce qu’une société, à une époque donnée, considère comme l’essentiel de l’humain à préserver à tout prix au cœur du désastre. En faisant appel, notamment, à l’approche cognitive développée par les études sur les désastres et les traumas, nous tenterons d’éclairer quelques-unes des fonctions des représentations de l’amour, sous ses formes les plus variées, dans les catastrophes collectives dont les hommes ne sont pas, ou pas entièrement responsables.

Domaines

Littératures
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-03976207 , version 1 (06-02-2023)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03976207 , version 1

Citer

Françoise Lavocat. Amour et catastrophes. Le Désordre du monde, CNRS Editions, pp.217-237, 2018, 978-2271120427. ⟨hal-03976207⟩
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