Villes et Territoires du Moyen-Orient

N°3, Mars 2007

 

Du cas et des “K” touristiques libanais : une communication géographique

 

 

Bruno Dewailly , ATER, Université Lumière Lyon 2.

 

 

(Cet article a été écrit en septembre 2004, par conséquent cette analyse ne prend pas en compte les événements survenus depuis deux ans [assassinat de R. Hariri, retrait syrien, guerre de juillet-août dernier…] et peut paraître parfois anachronique. Une version pdf de l'article est publiée sur le site http://www.vtmo.info).

 

Résumé : Au Liban, les premiers aménagements touristiques datent de la fin du XIX e  siècle. Les pratiques touristiques s'amplifient successivement sous le Mandat français (1920-1945), puis à partir de la présidence de Fouad Chéhab (1958-1964). Les quinze années de guerre, qui débutent en 1975, vont considérablement gêner le développement de ce secteur. Avec la fin des hostilités civiles au début des années 1990, son importance stratégique se voit réaffirmée. Pourtant, près de quinze ans plus tard, le Liban est seulement en passe de recouvrer son niveau d'avant-guerre, alors que le phénomène touristique mondial s'est considérablement accru depuis trente ans. À partir d'une présentation des principaux faits touristiques à l'œuvre, voici un essai de représentation géo-graphique du « système touristique » libanais.

Mots clés : Liban – tourisme – développement – saisonnalité – représentation graphique

 

Title : Tourism in Lebanon  : a « geo-graphic » study

Abstract : In Lebanon , the first tourism amenities date back to the end of the nineteenth century. The tourism practices intensified successively from the French Mandate to the presidency of Fouad Chéhab (1958-1964). The fifteen years of war from 1975 hampered considerably the development of this sector. The end of the civil hostilities at the beginning of the 1990s reaffirmed its strategic importance. Yet, almost fifteen years after these facts, the country is only about to regain its pre-war level, although the world tourism phenomenon has considerably increased in the past thirty years. Based on a presentation of the main tourism facts, here is a test of geo-graphical representations of the « Lebanese tourism system ».

Keywords : Lebanon – tourism – development – seasonal factor – geo-graphical representation

 

L'évaluation du secteur touristique libanais n'est pas chose aisée. Sur un plan institutionnel, et de manière générale, les données fiables et récentes sont dispensées avec parcimonie. Lorsqu'elles existent, leur accès n'est autorisé qu'à une petite poignée de personnes bien conscientes de la valeur potentielle d'un tel savoir dans une distribution de rapports de forces. De plus, la centralisation « désagrégée » de la structure administrativo-politique de l'État exacerbe la rétention d'information à des fins personnelles, partisanes ou clientélistes. Ainsi, sur un plan strictement statistique, seules sont accessibles les données suivantes :

•  les arrivées aux frontières par aires continentales de provenance (Syriens et Palestiniens ne sont pas comptabilisés) ;

•  le nombre de visiteurs des principaux sites archéologiques du pays ;

•  le nombre de chambres hôtelières par muhâfaza et une évaluation de la fréquentation mensuelle et par provenance géographique de ce mode d'hébergement basée sur un échantillon de 100 hôtels.

Le vide statistique national a très vite contraint les principales entreprises libanaises ou groupes internationaux présents dans le pays à disposer de services d'études et de statistiques propres. Mais ces informations rarement accessibles et dont la fiabilité est invérifiable ne sont d'aucun secours pour le chercheur.

Dans ces conditions, notre évaluation du secteur du tourisme libanais se fonde sur les quelques aspects qualitatifs disponibles, sur une enquête auprès de 464 personnes résidant dans des complexes balnéaires fermés et sur de nombreux relevés et suivis d'évolution (hôtels, complexes résidentiels de villégiature – balnéaire et montagnarde –, plages privées, équipements récréatifs, investissements et projets, évolutions de réglementations, etc.) effectués depuis 1996. Un traitement qualitatif a bien souvent prévalu, grâce aux nombreuses interviews réalisées auprès d'une grande variété d'acteurs du secteur (propriétaires, gérants, responsables marketing, fonctionnaires, touristes et Libanais résidents) 1.

Pour mener à bien notre approche d'une représentation graphique et didactique du fait touristique libanais, six figures de base représentant chacune une équation essentielle à la définition du « système touristique » libanais seront successivement abordées. Les deux premières figures ont pour vocation de poser les éléments jugés pertinents à la restitution de la mise en scène de l'ensemble pratique 2 « société libanaise ». Les quatre dernières figures feront référence aux faits et dynamiques touristiques et seront présentées dans un deuxième temps.

 

L'expression de l'ensemble pratique « société libanaise » en deux figures

Tout d'abord, il convient de poser l'ensemble des définitions ainsi que l'état de la configuration sociétale libanaise actuelle, permettant la compréhension des propositions graphiques qui vont suivre. Pour cela, notre approche ne retient que les éléments sociétaux essentiels pour caractériser le système touristique libanais. Ces variables ont été agencées dans deux schémas : formes et structures de l'espace et ressources environnementales.

 

Formes et structures de l'espace

Figure 1  : Formes et structures de l'espace.

La construction ci-dessus rassemble les variables structurantes sous cinq formalisations graphiques :

1. L 'espace national. Nous avons voulu le représenter de manière épurée. La transformation de la forme rectangulaire initiale en trapèze a vocation à retrouver un référencement géographique relatif par rapport à la verticale du document. Un pincement réalisé à mi-hauteur sur son côté oriental corrige sa forme en tenant compte des métriques topographiques. Ainsi, pour exprimer schématiquement l'espace libanais, on obtient une forme en « K ».

2. La variabilité de la porosité des frontières. Soit une fermeture vers Israël au sud et une double ouverture sur la Syrie voisine : à l'est, le principal poste de douane situé vers Damas et, au nord, les principaux passages littoraux.

3. L 'ordonnancement territorial par l'organisation administrative régionale. Elle reprend la subdivision administrative en six muhâfazat (Liban Nord, Mont-Liban, Beyrouth, Sud, Nabatiyeh, Beqaa) et leurs chefs-lieux.

4. Un gradient de densité de population. Il correspond schématiquement à la polarisation des activités et des richesses depuis la capitale, et peut par ailleurs représenter la forte centralisation institutionnelle inverse à la fragmentation des pouvoirs locaux qui parsèment l'ensemble de l'espace national.

5. Les influences et ingérences extérieures. Cette désignation, que certains jugeront peut-être très – voire trop – policée, exprime une grande variété de facteurs. Tout d'abord, la relation multidimensionnelle que constitue le rapport à l'autorité syrienne. Mais, au-delà, ce sont également les relations complexes entretenues avec des pays comme la France, les États-Unis d'Amérique ou l'Arabie saoudite. Par ailleurs, l'emploi de la désignation « extérieure », préférée à celle d'« étrangère », tend à signifier la présence de par le monde d'une diaspora libanaise nombreuse et diverse quant à ses aspirations. On doit encore ajouter à cette « rubrique » les relations induites par la présence de dix-sept communautés religieuses reconnues officiellement et ayant, pour la plupart, des référents étrangers. Enfin, le système bancaire libéral très attractif constitue une activité essentielle de l'économie libanaise. Si, en 2002, le GAFI 3 a rayé le Liban de sa liste des « pays et territoires non coopératifs », la place bancaire beyrouthine paraît « démesurée » ramenée à la population totale résidente, ou encore si on la compare aux poids respectifs des autres secteurs économiques nationaux. À cela il faudrait encore ajouter la dollarisation de l'économie et un endettement étatique dépassant en 2003 les 40 milliards de dollars US 4.

 

Les ressources environnementales

 

 Figure 2  : Les ressources environnementales.

 

Les potentialités touristiques du milieu physique libanais sont nombreuses, surtout à l'aune de celles des pays voisins. Profitant d'un ensoleillement important et de plus de 250 km de côtes méditerranéennes, le Liban tire de plus son avantage de la présence de deux chaînes de montagnes d'orientation méridienne qui cloisonnent le pays du nord au sud. Culminant à 3 000 mètres , ces chaînes garantissent une bonne alimentation en eau, offrent des paysages grandioses aux essences variées et parfois denses, ainsi que la présence d'espaces tempérés lors des grosses chaleurs estivales.

Mais, au-delà de ces incontestables atouts, l'environnement pâtit de formidables dommages et subit de nombreux risques qui accélèrent sa dégradation. Pour représenter graphiquement ces phénomènes, notre choix s'est porté sur :

•  L'isohyète des 800 mm . Elle symbolise la chaîne du Mont-Liban. Elle permet en outre de schématiser l'aire d'extension maximale du domaine végétal forestier, et renforce la distinction de trois entités régionales : la plaine côtière du Akkar au nord, le plateau de la Beqaa à l'est et la région sud du pays.

•  La dynamique de la déforestation. Avec une déprise des espaces forestiers denses qui peut-être évaluée à plus 60 % au cours des trente dernières années, les biotopes du versant occidental de la chaîne du Mont-Liban sont extrêmement malmenés 5. Urbanisation, pollutions, exploitations de carrières, pâturages caprins non réglementés, bois de chauffage, etc., les raisons de son recul sont multiples. L'espace représenté sur le schéma ne signifie pas une couverture forestière continue, mais seulement les principaux contours.

•  Les pôles industriels et urbains à forts rejets polluants. Ils sont principalement concentrés sur la côte.

•  L'espace atmosphérique à forte pollution. Cette dernière donnée peut paraître en partie redondante avec la précédente. Néanmoins, le choix de son expression est motivé par la dynamique de progression diffuse qu'elle représente. En effet, chaque année, la pollution atmosphérique littorale adossée au Mont-Liban est ressentie à des altitudes toujours plus élevées. Enfin, sur ce même espace, il faut encore considérer les possibles violences symboliques et la pollution visuelle certaine orchestrée par une densité parfois inouïe de panneaux publicitaires.

•  La localisation des principales décharges sauvages proches des grands centres urbains. Là encore, il s'agit d'une donnée partiellement redondante avec celles des pollutions. Mais, outre le fait qu'elle localise les principaux pôles urbains de l'intérieur, quadrillant ainsi mieux l'ensemble de l'espace libanais, sa présence veut aussi rappeler le grand nombre de dépotoirs qui jonchent le territoire.

•  Les zones d'intense exploitation de carrières légales et illégales. En 2001, un rapport du ministère de l'Environnement 6 dénombrait à travers le pays plus de 720 carrières tant légales qu'illégales. Cette donnée, à première vue moins essentielle, révèle aussi par association les dynamiques nationales du secteur de la construction. Les zones d'extraction situées à proximité de la frontière orientale, c'est-à-dire sur les contreforts occidentaux de la chaîne de montagnes de l'Anti-Liban, sont généralement légales, alors que celles qui sont situées dans le massif du Mont-Liban ne le sont que rarement.

À ces données, une dernière dimension environnementale a été adjointe. Elle concerne, d'une part, des espaces pouvant être perçus comme fortement répulsifs et, d'autre part, les expressions locales et nationales des tensions internationales. Tout en évitant de verser dans un quelconque déterminisme, le découpage proposé précédemment par les isohyètes des 800 mm aide à mettre en valeur les trois espaces réputés les plus répulsifs dans la conscience collective libanaise. Outre le fait que ces zones figurent parmi les plus pauvres et les moins développées (taux d'alphabétisation, équipements hospitaliers, infrastructures routières…), ce sont aussi celles dans lesquelles les présences militarisées sont les plus denses (barrages militaires libanais, syriens et de la Force d'intervention des Nations unies au Liban, seconds bureaux syriens, milices du Hezbollah…). Ces tensions militaires latentes s'expriment par une iconographie agressive qui entretient un état de guerre psychologique larvée (iconographie des martyrs, monumentalisation des armes lourdes récupérées par l'Armée du Liban-Sud…), principalement dans les zones à forte concentration de population chiite. Enfin, parce que ces espaces sont les zones de prédilection de l'armée syrienne et de la milice du Hezbollah, voire d'éléments palestiniens armés, toujours en guerre contre l'occupation israélienne de la zone de Chebaa, du Golan syrien et des Territoires palestiniens occupés, ils focalisent les tensions régionales et d'éventuelles représailles de la part de l'armée israélienne.

 

Vers la formulation du système touristique libanais : quatre figures intermédiaires

 Des distinctions saisonnières sont souhaitables pour caractériser les principales composantes du secteur touristique libanais. Cette présentation sera complétée par celle des investissements en cours et des projets à l'étude et en négociations.

 

Le tourisme d'hiver

Figure 3  : Le tourisme d'hiver.

Durant trois mois d'hiver en moyenne, l'enneigement des grands massifs montagneux est tel que des pratiques de sports d'hiver ont été développées dès la période mandataire française. On dénombre aujourd'hui 6 stations et près de 50 remontées mécaniques dont la plus ancienne date de 1935. La majorité d'entre elles est située à moins de 50 km de Beyrouth et les domaines skiables s'échelonnent autour d'altitudes comprises entre 1 800 et 3 000 mètres . La capacité d'hébergement totale est supérieure à 3 000 « chalets 7 » et appartements et à 800 chambres d'hôtels (soit environ 13 600 lits 8). Les pistes les plus récentes relèvent de domaines privés dont l'accès est strictement réglementé. Le nombre annuel de skieurs estimé au début des années 2000 est de 30 000. L 'ensemble de ces usagers des pistes est jusqu'à présent essentiellement composé de Libanais. Seule une minorité d'entre eux réside en station, compte tenu de la proximité des principales aires urbaines et des tarifs élevés de l'hébergement. En conséquence, durant les week-ends et les vacances, les migrations pendulaires journalières entre les villes de la côte et les principales stations provoquent de nombreux embouteillages sur les routes qui mènent aux stations.

De toutes, la saison hivernale est la moins pourvoyeuse en visiteurs étrangers. Outre le secteur des sports d'hiver, le tourisme interne se développe progressivement sur les centralités festives que constituent Beyrouth et Jounieh durant les vacances de fin d'année. Certes, les périodes de fêtes religieuses – lorsque celles-ci ont lieu l'hiver – entraînent une augmentation des visiteurs. Mais ces venues, fortement corrélées à des visites familiales de la part des populations expatriées, créent peu d'activités proprement touristiques. L'hôtellerie de luxe, essentiellement concentrée dans la capitale et, dans une moindre mesure, dans l'agglomération de Jounieh, tente depuis quelques années de s'orienter vers un « segment » qu'elle qualifie de « tourisme de congrès ». Les arrivées de touristes étrangers sont finalement peu nombreuses durant cette période. Des nationaux originaires de la péninsule arabique passent pour de courts séjours afin de profiter des plus grandes libertés de mœurs en cours (casino, alcool, service de call-girls lié à la prostitution d'affaires, etc.). Leur fréquentation est en hausse significative depuis l'automne 2001, consécutivement aux traitements moins attentionnés ressentis par ces populations en Occident depuis les attentats du 11 septembre 2001.

 

Le tourisme des saisons intermédiaires

Figure 4  : Le tourisme de saisons intermédiaires.

À part le développement continu durant le printemps et l'automne du tourisme de congrès, les activités liées au tourisme international relèvent surtout du tourisme culturel. De plus en plus d'opérateurs européens adjoignent le Liban aux forfaits-circuits en Jordanie et/ou en Syrie. Au programme, la visite des principaux sites archéologiques et patrimoniaux, dont Baalbek est le fer de lance d'une gamme balayant plus de 7 000 ans. Cinq sites ont été classés par l'Unesco sur la liste du Patrimoine mondial de l'humanité (Baalbek, Jbeil, Tyr, Anjar et la vallée de la Qadisha ). Ce secteur d'activités souffre depuis l'automne 2001. Les tensions régionales ne sont pas propices au retour rapide de sa croissance.

Parallèlement, des infrastructures et des activités liées au tourisme vert se sont développées. Situés principalement dans les régions montagneuses du Mont-Liban, moyennement peuplées et aux charmes paysagers encore sauvegardés, ces micro investissements sont généralement l'œuvre de locaux, anciennement expatriés ou ayant été en contact avec ce genre de pratiques. Ces activités, qui se développent de manière lâche, s'étendent au nord de Beyrouth, depuis l'arrière-pays de Jbeil jusqu'à celui de Tripoli et, au sud, dans la région du Chouf. En émergence, elles sont encore fort peu nombreuses et ne bénéficient généralement d'aucun appui institutionnel national. Il est vrai que ces mécanismes d'investissement et de gestion sont fort éloignés de ceux des affaires « juteuses », voire parfois « sulfureuses » – le fameux « coup » – si présentes dans le mythe entrepreneurial libanais.

La majorité de la clientèle actuelle du secteur est constituée d'étrangers résidant dans la région, de Libanais familiarisés à des pratiques culturelles occidentales, ayant résidé ou résidant toujours en Europe, en Amérique du Nord ou encore en Australie. La clientèle libanaise résidente est très peu nombreuse. Elle se compose de personnes issues d'une bourgeoisie citadine déjà établie depuis au moins deux générations.

 

Le tourisme estival

Figure 5  : Le tourisme estival.

L'été est de très loin la principale saison touristique. Alors que le rythme général de travail ralentit (vacances, journée de travail s'arrêtant à 14 heures), les activités liées au tourisme et aux loisirs gagnent en effervescence. Durant les mois de juin et de septembre, le pays accueille en moyenne deux fois plus de visiteurs étrangers que pendant les mois précédents, soit un peu plus de 100 000 visiteurs par mois en 2003. Les arrivées doublent de nouveau en juillet et août. À ces arrivées extérieures, il conviendrait d'ajouter les ressortissants libanais de l'étranger et les visiteurs syriens, populations pour lesquelles aucune donnée officielle n'est accessible. Enfin, dans l'état actuel des statistiques, le tourisme interne est quasi impossible à quantifier raisonnablement.

Les pratiques touristiques peuvent être classées dans trois formes principales – l'estivage, la villégiature de montagne et le tourisme balnéaire – renvoyant pour chacune d'entre elles à des modes résidentiels précis.

L'estivage est relatif à un regroupement socio-communautaire sur son territoire d'origine (Alouche, 1970). De nos jours, cette pratique tend à correspondre temporellement à la période des vacances scolaires estivales. Elle s'élabore et s'intensifie au fur et à mesure que les terroirs perdent de leurs activités originelles. Deux raisons motivent initialement ces migrations. À l'attachement aux patrimoines familial et communautaire dans lesquels les Libanais puisent leur identité, se greffe le désir de fuir un climat littoral estival chaud et humide. Ainsi, ces mobilités saisonnières concernent un très grand nombre de Libanais. Elles se disséminent à des altitudes comprises entre 800 et 2 000 mètres tout au long du versant occidental du Mont-Liban (voire au-delà : Zahlé, la Beqaa centrale et le sud). Aujourd'hui, si certains fréquentent encore la maison ancestrale, l'élargissement familial générationnel génère la construction de villas modernes et d'immeubles familiaux ou incite certains à louer un appartement pour la saison.

L'activité de villégiature de montagne se distingue de l'estivage en principe pour plusieurs raisons. Elle concerne des populations non originaires des espaces de cette pratique : essentiellement des étrangers (des Arabes de la péninsule notamment, et historiquement des bourgeois proche-orientaux), mais aussi des représentants de la bourgeoisie libanaise de tradition urbaine et, depuis peu, avec le développement du tourisme interne, des Libanais de provenances régionales variées. Par ailleurs, c'est une activité touristique ancienne. Les premiers investissements remontent aux années 1880 et son essor a été particulièrement important au cours du Mandat français. Enfin, son implantation est beaucoup plus localisée que celle de l'estivage. Quelques stations parsèment son espace, principalement dans les cazas d'Aley, de Baabda et du Metn proches de la capitale. Les formes résidentielles se cantonnent principalement à de l'hôtellerie haut de gamme et, pour les plus fortunés, à la location de villas de haut standing. Depuis le milieu des années 1990, quelques investissements immobiliers, complexes résidentiels privés de type « Country club », sont apparus. Ces établissements qui démocratisent quelque peu cette pratique en offrant des locations moins onéreuses que l'hôtel ou la résidence hôtelière haut de gamme proposent un produit à même de séduire touristes de villégiature comme touristes d'estive. Tant et si bien que dans certaines localités, les deux formes auraient tendance à progressivement se fondre dans une dynamique d'hybridation.

L'activité balnéaire constitue la troisième forme notable du tourisme estival. Moins ancienne que la précédente, elle est issue de la pratique récréative des bains dont l'essor initial remonte à la période mandataire. Parallèlement au développement économique du pays, à la croissance de son secteur touristique et à l'engouement de la récréation balnéaire, un nouveau mode résidentiel lié à ces loisirs est venu compléter l'offre d'hébergement touristique hôtelier situé sur le littoral que son coût élevé réserve à une bourgeoisie étrangère fortunée : le complexe résidentiel balnéaire 9. Durant les années 1960, les premiers centres apparaissent progressivement le long des côtes du Kesrouan (Jounieh, Tabarja) puis du Liban Nord (Heri). Ce modèle résidentiel fermé a très vite convenu à une moyenne bourgeoisie libanaise (principalement chrétienne et/ou urbaine) puisqu'il permettait de partager, d'élaborer, puis de reproduire dans un espace clos un habitus de classe aux consonances plus ou moins communautaires. À partir de 1975, les quinze années de conflits ont favorisé la croissance de ce modèle résidentiel (essentiellement dans les cazas du Kesrouan et de Jbeil) qui accueille une partie des populations déplacées 10. Parallèlement, l'accès continu à des éléments de confort comme l'eau courante (puits artésiens), l'électricité (groupe électrogène) ou encore un service de gardiennage parachève l'attraction d'une clientèle locale. Depuis la fin du conflit, peu y habitent encore de manière continue. Aujourd'hui, on dénombre près d'une cinquantaine de complexes de ce type. La majorité d'entre eux est localisée le long d'une portion du littoral qui s'étend du sud de l'agglomération de Jounieh jusqu'à Batroun, soit à l'extrémité sud du muhâfaza du Liban Nord. Dans cette dernière région, le développement moins dense se regroupe autour de trois autres sites : Heri, Enfé, et la banlieue sud de Tripoli. L'extrême majorité de ces résidences est localisée dans des régions aux populations très majoritairement chrétiennes. Le littoral beyrouthin et de sa banlieue sud bénéficie également d'un développement touristique balnéaire originellement basé sur un développement hôtelier. Néanmoins, l'engouement pour le chalet gagne également cette côte. Du côté de l'agglomération de Jounieh, quelques hôtels, parmi les plus récents, proposent également des chalets. Si on ajoute à cela l'arrivée sur le marché depuis quelques années de nouveaux produits – comme la résidence hôtelière –, l'ensemble de ces offres d'hébergement tend, lui aussi, à progressivement évoluer vers une hybridation de ses formes. La principale forme touristique balnéaire au Liban apparaît comme très originale par rapport aux fonctionnements turc, grec et chypriote basés sur des plages.

Le sous-système des activités balnéaires se compose également d'infrastructures de plages le plus souvent privées, de complexes de sports aquatiques, nautiques et d'activités de plaisance.

Pour clôturer la description des éléments majeurs qui participent de la dynamique du tourisme estival, il faut noter la présence de quelques activités transversales aux différentes clientèles des trois secteurs. Les activités de jeux liées aux casinos, la prostitution « de loisirs » et surtout les festivals – principalement de musique – fleurissent à travers l'ensemble de l'espace touristique d'été.

 

Investissements et projets

Figure 6  : Schéma investissements et projets.

Avant de proposer une synthèse graphique, une dernière figure intermédiaire à l'étude du système touristique libanais concerne les investissements en cours et les projets à l'étude ou en négociations. Cette distinction paraît intéressante puisque, prospective, elle permet de resituer les descriptions précédentes dans une dynamique mieux affirmée. Par ailleurs, elle a également pour objectif d'aborder de manière plus prononcée la question des « acteurs producteurs », jusqu'ici à peine effleurée. Pour ce faire, reprenons notre démarche saisonnière.

Les professionnels tablent sur une croissance significative des activités liées au secteur des sports d'hiver. Ils s'attendent à ce que la fréquentation des pistes soit multipliée par 10 en 15 ans. Cette estimation ne concerne que les pratiques récréatives et non les pratiques touristiques. En clair, l'animation du parc résidentiel associé à ces usages n'est pas aussi prometteuse en termes de croissance, même si le pays compte profiter de la récente attribution de l'organisation des 7 e Jeux asiatiques d'hiver en 2009 pour promouvoir ses infrastructures. Au moins trois projets sont actuellement en négociation ou à l'étude. Dans le Liban Nord, quelques hommes d'affaires proches de la famille Frangieh projettent, depuis quelques années déjà, l'ouverture d'un domaine skiable sur les pentes du massif de Kornet el Saouda accessible depuis la localité de Ehden, haut lieu de l'estivage maronite nord-libanais et centre de villégiature renommé. Outre la recherche d'un dynamisme économique hivernal, ce projet a vocation à concurrencer directement la station des Cèdres située sur le territoire municipal de Bcharré, l'un des bastions des Forces libanaises dont Samir Geagea – ennemi politique du ministre Sleiman Frangieh – incarne le leadership. La situation d'attente dans laquelle s'est longtemps trouvé ce projet s'est dernièrement débloquée avec l'annonce de la mise en place pour 39 ans du contrat DBOT passé entre le consortium immobilier européen Europtima et la municipalité de Zgharta-Ehden. L'avant-projet réalisé par la société française Transmontagne fait état de deux sites, l'un situé à 2 100 m d'altitude et le second à 2 500 m, répartis sur les 550 ha du domaine et dont les constructions ne pourront dépasser une emprise au sol de plus de 20 % des 150 ha alloués aux aménagements. Seul un téléphérique au débit de 3 600 personnes/heure permettra l'accès à la station. L'hôtellerie sera principalement située dans le village, mais les sites d'altitude possèderont toutefois chacun un hôtel de 100 à 150 lits. Un équipement de spa et quelques bungalows seront également construits à 2 100 m. Les travaux ont commencé durant l'été 2004 et l'ouverture de la station est prévue pour le printemps 2008.

Deuxième projet, le Saninne Zenith Lebanon est situé au nord-est de Beyrouth sur le flanc sud du massif du Mont Saninne. Trois ou quatre villages (selon la demande) seront développés au cœur d'un site de 10 000 ha comprenant entre autres agréments un golf et un lac artificiel. Ce projet est actuellement l'objet d'une vive polémique entre les partisans d'Émile Lahoud, Président de la République libanaise, et de Rafic Hariri, ancien Président du Conseil, non pas pour des raisons environnementales (qui n'entrent aucunement en ligne de compte), mais, là encore, pour des questions de rivalités politiques.

Le troisième et dernier projet, celui du Mont Hermon, relève pour l'instant plus d'une intention que d'un plan formalisé. Massif et point culminant situé à l'extrémité sud de la chaîne de l'Anti-Liban, cet espace adossé à la frontière syrienne est proche du plateau syrien occupé du Golan, de la localité de Chebba et donc de la frontière israélienne. Le projet apparaît pour l'instant comme étant trop proche d'un espace à forte tension pour inspirer confiance aux investisseurs, étant de plus situé loin des centres urbains.

Le secteur de l'écotourisme n'est, certes, pas animé d'investissements pharaoniques, mais ses dynamiques diffuses sont essentielles car elles peuvent être liées à l'enrayement de la déprise montagnarde et à la relance économique de certaines régions. Depuis ces dernières années, les espaces pionniers se sont étendus pour parvenir à franchir le Mont-Liban. Au nord, les contreforts orientaux et le flanc ouest du plateau de la Beqaa font l'objet de quelques investissements. Au sud, suite au retrait de l'armée israélienne de 2001, les régions de Jezzine, de Rachaya et de Hasbaya, de nouveau accessibles, espèrent tirer parti du seul et triste avantage des vingt années de présence israélienne sur leurs terres ou à proximité : le gel des investissements et la chute des activités dans ces espaces préservant par défaut l'environnement 11. Par ailleurs, ce secteur bénéficie désormais de quelques appuis à son développement. Des organismes tels que l'USAID 12 par exemple, développent, via de petites ONG, des aides aux investissements de particuliers. Ils peuvent concerner des structures d'hébergement sur le modèle du B&B ou encore de la chambre d'hôtes, ou bien la mise en place de petites entreprises à vocation récréative (randonnée, activités de découverte, sports extrêmes…). Ils dispensent encore une aide technique ou financière à des projets municipaux (petits aménagements, politique de mise en valeur, écomusée, signalisation…).

Concernant la relance du tourisme culturel, un important projet intitulé « Patrimoine culturel et développement urbain » a été mis en place au début de l'année 2003. Il s'inscrit dans la lignée du programme « Cultural Heritage and Development » de la Banque mondiale, déjà expérimenté à plusieurs reprises dans la zone MENA (Middle East and Northern Africa), et doit favoriser les activités économiques liées au tourisme. 62 millions de dollars US sous forme de prêts seront investis dans les centres anciens et sites archéologiques de cinq villes (Baalbek, Jbeil, Saïda, Tripoli et Tyr). Outre la Banque, les principaux bailleurs de fonds sont des institutions étatiques française et italienne. Ce projet est mis en place par le Conseil de Développement et de Reconstruction (CDR) et suit essentiellement les normes et directives de la BIRD 13. Malgré des intentions médiatiques fort louables, le projet semble avant tout relever d'un dispositif visant à appuyer des prises de décisions politiques au sujet de privatisations, d'ouverture ou d'attribution de marchés et de mise aux normes 14.

Enfin, dernière facette du tourisme culturel, le volet cultuel présente un potentiel tant les pèlerinages et fêtes religieuses génèrent de fortes mobilités. Il n'est à ce jour exploité que de manière exploratoire 15.

Les investissements et projets qui animent le secteur de la villégiature de montagne sont peu nombreux et très ponctuels. En fait, à l'issue de la guerre, les professionnels avaient tenté d'anticiper une éventuelle forte croissance de ce secteur au cours des années 1990, mais des événements successifs aux portées médiatiques négatives auront, année après année, freiné son redémarrage, sur une période de dix ans. Les investisseurs sont désormais plus prudents. On peut signaler toutefois quelques tentatives de développement de cliniques privées et centres médicaux haut de gamme annonçant peut-être une volonté de s'insérer dans le créneau du tourisme de la santé.

L'espace de l'estivage est animé par de nombreux micro investissements (résidences secondaires…). La nature spécifique propre à cette pratique éminemment trans-locale n'invite pas les investisseurs à s'y intéresser. Les mécanismes de construction de logements relèvent souvent de pratiques « artisanales » visant à réduire le plus possible les coûts individuels de construction. Ils semblent très variés et basés sur une multitude d'échanges (services, matériaux…). Leur étude reste à faire. Par ailleurs, il faut noter la tendance à l'aménagement d'infrastructures ou à leur rénovation de la part des pouvoirs publics, qu'ils soient nationaux (CDR) ou locaux (municipalités).

Le développement littoral du tourisme balnéaire semble se poursuivre à un rythme soutenu. Les principaux investissements et projets sont situés à Beyrouth et dans sa banlieue. Une demi-douzaine d'hôtels cinq étoiles y sont en construction alors que certains, déjà présents, renforcent leurs investissements en complétant leur offre (résidence hôtelière notamment). Les experts estiment que d'ici peu, ces investissements hôteliers haut de gamme auront saturé une offre sectorielle dont le taux moyen d'occupation (57 % en 2002) est déjà l'un des plus faibles du Moyen-Orient. Cependant, ils envisagent la probabilité d'une croissance élevée de l'hôtellerie de standing intermédiaire.

L'expansion des complexes balnéaires se poursuit sur les côtes de Beyrouth et du Mont-Liban. Le dynamisme semble plus vigoureux le long du littoral du Chouf, mais les espaces traditionnels peuvent aussi accueillir quelques nouveaux investissements (Heri, Tabarja, Halat). Le respect plus strict des réglementations en matière de législation littorale et les activités militantes d'associations de défense de l'environnement constituent un frein aux investissements peu scrupuleux. Malgré cela, certains d'entre eux parviennent encore, semble-t-il, à s'en jouer (complexe libano-émirati à Khaldé).

Jusqu'ici, la majorité des propriétaires de chalets en complexes balnéaires avait tendance à proposer des locations pour l'ensemble de la saison estivale. Une pénurie de liquidités, couplée à un coût d'entretien mobilier annuel très élevé (2 000 et 3 000 dollars US) et au développement de plages privées de bonne qualité et d'accès plus aisé – car ne nécessitant aucun abonnement –, rend désormais ce marché moins dynamique. Tant et si bien que les managers de complexes et les propriétaires individuels modifient leurs produits et proposent des locations plus courtes, au mois, voire à la semaine. En fait, d'après certains professionnels de la gestion immobilière, ce mode de résidence de loisir serait à la recherche d'un second souffle. Après avoir répondu parfaitement aux attentes des consommateurs des années 1980, l'offre saisonnière paraît désormais inadaptée face à une clientèle qui préfère varier ses activités estivales et voudrait pouvoir désormais accéder à ces complexes de façon plus ponctuelle.

Quelques managers ont pressenti et compris l'accroissement de la concurrence et ont investi dans des infrastructures susceptibles d'enrichir leur gamme de services, de diversifier leur clientèle et d'étendre leurs activités à d'autres saisons, comme le spa.

Enfin, que ce soit pour les hôtels, les complexes balnéaires ou les vastes projets immobiliers côtiers, la tendance est aussi à l'investissement dans l'aménagement de marinas (à Beyrouth, deux pour le seul projet SOLIDERE, et une pour le nouvel hôtel Mövenpick, une sur le remblai du Metn-Nord à Dbayé et plusieurs autres le long du littoral du Mont-Liban et du Liban Nord).

 

Une représentation graphique : les « K » du tourisme libanais

Pour l'année 2003, et sans tenir compte des Libanais expatriés et des visiteurs syriens pour lesquels aucune statistique officielle n'est disponible, le ministère libanais du Tourisme annonçait un nombre de touristes en provenance de l'extérieur supérieur au million d'unités. L'évaluation du nombre de touristes étrangers réalisée par nos soins avoisine les 500 000 personnes 16. Sur les bases d'une appréciation du nombre de Libanais en diaspora et d'une approximation du nombre de Syriens entrant au Liban par le principal poste frontière terrestre de Masnaa, une estimation basse de 250 000 visiteurs peut être raisonnablement avancée. Mais qu'on prenne les estimations basse ou haute, le premier constat d'un marché touristique libanais n'ayant toujours pas recouvré son niveau de développement d'avant-guerre doit être réaffirmé. En 1974, le pays accueillait près de 1,4 million de visiteurs, soit à l'époque plus de 50 % de sa population totale. Aujourd'hui, l'écart est d'autant plus significatif qu'il faut le contextualiser à l'aune d'un phénomène touristique mondial qui s'est considérablement accru depuis trente ans. Malgré ces évidences, le ministère se gargarisa d'avoir enfin atteint le « niveau référence » de 1974.

La nature de la clientèle a peu évolué : elle demeure haut de gamme, principalement composée d'Arabes moyen-orientaux auxquels il faut ajouter un tiers d'Occidentaux dont les deux tiers proviennent d'Europe.

À ce tourisme international, il faut associer les dynamiques du tourisme intérieur. Son évaluation est extrêmement problématique. Depuis deux ans, des données sur la clientèle hôtelière sont accessibles et comptabilisent également les Libanais. Mais, en l'absence de distinctions prenant en compte le lieu de résidence, il n'est pas possible de distinguer les parts respectives dues au tourisme international, aux pratiques touristiques des émigrés en vacances et au tourisme interne. Les grandes chaînes hôtelières ne communiquent pas ce genre de données. Par ailleurs, le tourisme en complexe balnéaire est très majoritairement animé par une clientèle libanaise résidente, minoritairement composé de Libanais expatriés, et, de manière très sporadique, d'étrangers.

À l'issue de ce bref panorama qui cerne l'originalité du système libanais, on peut désormais proposer un essai de représentation graphique.

Figure 7 : schéma de synthèse.

Le principal fait significatif sur un plan iconographique concerne une forme en « K » qui semble se réitérer à différentes échelles spatiales au fur et à mesure du développement de ce secteur. Ainsi, nous dégageons trois « K ».

Le premier, comme on l'a vu précédemment, concerne la définition et la figuration de l'espace national, de ses fermetures et de ses ouvertures.

Le deuxième, l'espace des muhâfazat de Beyrouth et du Mont-Liban, est mis en avant en tant qu'espace originel, non pas de l'identité nationale, mais des pratiques touristiques. Ce choix a aussi pour avantage de réinterpréter schématiquement le gradient des densités de population et des activités centrées sur la capitale.

À la suite, une transition tempo événementielle est alors proposée. Elle rappelle la guerre et réinterprète la coupure de cette tragédie. Certes, toutes les activités touristiques n'ont pas complètement disparu durant cette période, mais son impact est trop significatif sur la situation actuelle en général, et sur celle du tourisme en particulier, pour qu'elle puisse être esquivée. À cette fin, nous avons ici recours à deux éléments graphiques déjà convoqués dans les deux schémas chargés d'énoncer l'ensemble pratique « société libanaise ». Une étoile dans le sud symbolise les tensions. Une flèche, aux contours troubles, dérangeant et contrastant avec la clarté des autres formes du schéma, exprime les ingérences et influences étrangères dont les formes et les modes sont divers. Leurs impacts traversent, ici ou là, la totalité de la scène sociétale libanaise et participent de sa fragmentation.

Le troisième « K » se surimpose au précédent, proposant une construction plus détaillée et complexe des principaux faits touristiques et de ceux dont la corrélation au secteur d'activité est, d'une manière ou d'une autre, évidente. Ainsi, la jambe et le bras droit du « K » représentent l'estivage, la villégiature de montagne et les pratiques de sports d'hiver. Ces membres reprennent également la localisation des espaces naturels ou forestiers et, au-delà, dessinent la chaîne du Mont-Liban. La base du « K » reprend les activités balnéaires, ainsi que les espaces à forte densité hôtelière, mais exprime également les concentrations humaines, leurs activités, et surtout les importantes nuisances générées et dont la nocivité en matière de tourisme est essentielle. Le devenir territorial et les dynamiques spatiales de ce troisième « K » sont suggérés non seulement par l'imbrication du gris et du vert dans le « nœud/cœur du K », mais également dans un questionnement graphique qui concerne le devenir de cette morphologie spatiale du « K » sous l'impulsion de nouvelles formes, de nouvelles pratiques et peut-être de nouvelles valeurs touristiques. L'expression des flux, externes comme internes, participe à la représentation d'une composition spatiale en mouvement.

La formulation d'une représentation graphique du « système touristique » libanais permet de représenter les logiques spatiales héritées et à l'œuvre aujourd'hui qui animent ce champ et, au-delà, d'envisager leur devenir. À partir de la « matrice » touristique constituée autour de Beyrouth et du Mont-Liban, on perçoit une dynamique cherchant à se déployer jusqu'aux limites du territoire. Ce mouvement reste toutefois sous la menace de l'épée de Damoclès de l'instabilité régionale à l'effet potentiel de « remise à zéro ». Parallèlement, ces dynamiques spatiales reflètent l'état d'insécurité mentale d'une opinion civile voulant tourner la page. Puissent-elles contribuer à fonder la coexistence nationale d'une société en quête de sens !

 

Adresse de l'auteur :

Bruno Dewailly

bruno.dewailly[at]univ-lyon2.fr

UMR 6173 - CITERES
MSH Villes et Territoires
BP 60449
37204 TOURS cedex 03

 

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Notes

1 Les littératures scientifique, institutionnelle et journalistique en matière de tourisme, d'économie, de faits sociaux et environnementaux ont été, autant que possible, prises en compte.

2 Comme « construit destiné à produire et organiser l'action finalisée des individus en société » (Lussault, M., 2000, p. 22).

3 Le Groupe d'Action FInancière sur le blanchiment des capitaux est un service de l'OCDE.

4 Corm, G., 2003, p. 291.

5 Ecodit, 2001, p. 145-162.

6 Ecodit, 2001, p. 163.

7 Désignation locale pour un petit appartement généralement guère plus grand qu'une chambre d'hôtel, mais dont l'aménagement est adapté à l'accueil d'une famille (cuisine et couchages).

8 Évalués sur les bases de 4 personnes par chalet et 2 personnes par chambre d'hôtel.

9 Établissement clos situé en bord de mer, associant un espace commun permettant un certain nombre d'activités (piscine, sports, bains de soleil…) et un espace résidentiel composé d'appartements appelés « chalets ».

10 De manière transitoire dans l'attente de l'acquisition ou de la construction d'un logement, mais aussi de manière plus permanente.

11 Si dans ces régions certains paysages ne sont quasiment plus anthropisés, de gros efforts devront être menés pour déminer certaines zones, ou encore gérer des populations cynégétiques qui ont eu tendance à proliférer.

12 L'USAID est la principale ONG américaine dans le monde.

13 Banque Internationale de Reconstruction et de Développement.

14 Dewailly & Molina, 2005.

15 Cf. www.ictusvoyages.com

16 Cf. Dewailly et Ovazza, 2004a.

© Bruno Dewailly -2007