« Wannabe attractive cities in Europe »

Le marché fait-il la ville? Ecole thématique d’Aussois 2010
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« Wannabe attractive cities in Europe »

Un protocole de recherche pour deux villes européennes : Lyon & Milan

Deborah Galimberti

Doctorante en Science Politique, Université de Lyon – UJM Saint Etienne

Introduction

Avec la globalisation des marchés, la compétitivité des territoires et donc la production de richesses sont devenues de plus en plus dépendantes de leur capacité d’attraction et de mobilisation de ressources de qualité, capitaux, technologies et personnes pour déclencher le processus de développement local. Selon Camagni (2003) les villes peuvent être considérées comme des acteurs en compétition dans l’arène globale, en vertu de leur nature de « clusters of public goods and externalities and enhancers of interaction and local synergy ». Dans l’économie à archipel de P. Veltz (1993) les villes offrent aux firmes une « assurance flexibilité » ; la qualité de fonctionnement des territoires est vue comme un critère majeur de localisation des firmes, pour obtenir des avantages compétitifs uniques et durables.[1] L’explosion de politiques de marketing urbain, visant à bien vendre le territoire pour y attirer en particulier le capital humain, selon les nouveaux impératifs de la « classe créative » (Florida, 2002) corrobore la thèse d’une compétition croissante entre territoires. Dans ce papier, nous n’allons pas aborder le thème épineux de la validité économique de théorie de la classe créative[2], au contraire nous allons nous concentrer sur le rôle joué par les gouvernements locaux.

La capacité d’attraction de ressources fait appel à un éventail complexe de politiques urbaines. Le débat relevant du champ des urban studies (US) sur les villes nord américaines, historiquement caractérisées par un fort «boosterism» local, a été traversé à partir des années 1980 par de nombreux travaux portant sur la diffusion de “new urban politics” (NUP) (Cox, 1993) [3], dont le but final est de rendre la ville attractive aux yeux des investisseurs, et nous ajoutons des futurs habitants. Le mise en place des NUP se déploierait au sein des système de gouvernance de type « entrepreneurial » (Harvey, 1989) : les villes seraient assimilables à des entrepreneurs à la recherche active de ressources privés et publiques[4] dans une compétition à somme zéro entre un système urbain et l’autre, où les logiques spéculatives l’emportent sur le développement coordonné. Harvey (1989) synthétise bien le nouvel credo de « wannabe attractive cities » : “ A city has to appear as innovative, exciting, creative, and safe place to live or visit, to play and consume in”. Les actions de marketing territorial, les grands projets urbains emblématiques, les incitations fiscales, seront la traduction opérative d’un dessin stratégique visant à attirer ressources en ville, dans la construction d’un « good business climate » pour la production de richesses (Logan et Molotch, 1987).

Dans notre définition de politiques dites d’attractivité locale, nous prenons en compte les interventions visant à la fois les investisseurs (les entreprises) et les personnes (les habitants), dont l’objectif ultime reste la croissance locale à travers la promotion de la ville. Il s’agit d’un éventail assez ample d’actions, relevant de plusieurs policy fields, de politiques classiques de développement économiques (Le Galès, 1993) aux politiques d’aménagement jusqu’aux politiques culturelles et d’event management. Notre entrée ne se fera pas par les champ politique mais plutôt par les acteurs impliqués dans ce processus de promotion du local.

Les trois controverses théoriques

S’il y existe un accord sur la diffusion de ces politiques aussi en Europe (Dalla Porta, 2006), les interprétations sur comment elles se déploient, en termes de rapport de pouvoir, et sur les facteurs explicatifs de leur diffusion, restent très divergentes. Or à la base de notre travail de thèse on retrouve une question très simple: d’où ce paradigme d’action vient–il? La construction du cadre explicatif qui rend mieux compte de la diffusion de ces politiques est le propos de notre travail. Ce questionnement se déploie sur plusieurs dimensions d’analyse, qui alimentent le débat scientifique sur le thème. En particulier nous avons remarqué l’existence de trois controverses théoriques strictement corrélées.

· Dans quelle mesure s’agit il d’un aspect nouveau et dominant de l’agenda urbain de villes européennes?

· Quelles sont les relations entre facteurs explicatifs locaux, nationaux et globaux?

· Comment peut-on appréhender la question du pouvoir à l’échelle locale?

Pour ce qui concerne la « nouveauté » de ces politiques, si on suit le cadre explicatif proposé par N. Brenner (2009a), les NUP seraient un fait totalement nouveau en totale rupture avec la tradition de « welfare municipalism » qui avait dominé les agendas des villes européennes jusqu’aux années 1970. Leur diffusion serait un produit des transformations géoéconomiques, de l’intégration européenne et de « national rescaling » étatique, de la période post ’80. Brenner mobilise les travaux de Jessop (1993) qui puisent de l’école de la régulation pour soutenir sa thèse du passage du «keynésianisme spatial»[5] aux nouvelles locational policies, à savoir des politiques spatiales étatiques visant la mise en concurrence des territoires infranationaux et l’accumulation de la richesse dans certains nœuds stratégiques. Le cadre théorique de Brenner nous laisse quelques perplexités, surtout par rapport au cas italien, où les politiques étatiques dites keynésiennes ont été moins marquées qu’en France. Cela nous a amène à remonter un peu en arrière (années 1965) avec notre analyse et à nous demander si et dans quelles formes on pourrait retrouver de traces de boosterism urbain dans la période du compromis fordiste, à l’échelle locale mais aussi bien étatique. Les réformes de décentralisation ont certes contribué à la généralisation de ces politiques, mais elles ne les ont sans doute pas créées de toutes pièces. Cependant le cadre explicatif proposé par Brenner (de nature structurelle) ne rend pas compte à notre avis des possibles variations locales, que nous souhaitons interroger.

Le rapport entre le facteur localité, le contexte national et le scénario global est très difficile à explorer car nous nous mouvons sur un plan multidimensionnel. Ici nous proposons un paradigme de caractère général qui cherche à rendre compte du rapport entre les facteurs contextuels (à l’échelle locale, nationale et globale) et le processus (le jeu d’acteurs). De nombreux auteurs (Painter, 1995) ont fait recours au cadre explicatif de l’école de la régulation pour expliquer les changements qui ont intéressé les urban politics dans le passage du régime et du mode de régulation[6] fordiste à ceux de matrice postfordiste. Nous reconnaissons l’importance des grands changements de formes de capitalisme, que nous lisons plutôt en termes de changement de la relation entreprise, technologie, territoire et enfin croissance, sous les impulsions de la globalisation (Storper M., Walker, R.A.,1989). Nous ne sommes pas dans la position de soutenir quels facteurs expliquent mieux les variations dans la diffusion et les formes de ces politiques, cependant notre pivot d’analyse veut être le facteur localité, ici entendu comme le résultat de processus de négociations locales et de caractéristiques du capitalisme urbain. Nous ne pensons pas de pécher par « localisme méthodologique » (Brenner, 2009b) en mettant notre lampe d’analyse sur le jeu d’acteurs, sur les processus de négociation et d’adaptation d’un cadre d’action collectif, sur les valeurs qui influencent ce processus de restructuration de pouvoir. En effet ouvrir la « boite noire » de la gouvernance locale ne signifie pas naturaliser l’existence d’une scène locale, isolée des phénomènes extérieurs mais au contraire reconnaitre l’importance de facteurs extra locaux, mais aller voir les réponses, les adaptations locales des systèmes urbains, et par conséquent reconnaitre l’importance du facteur politique. Comme souligné par Pinson (2009, p.26) « l’importance prise par les politiques urbaines n’est pas que le fait d’une ruse du Statehood et du Capital c’est aussi le fruit d’une capacité nouvelle des élites urbaines à élaborer des stratégies à constituer la ville en acteur collectif » .

Dans notre perspective l’acteur (au sens d’acteur collectif) revêtit un rôle primaire. Cela nous amène à aborder la troisième controverse : comment appréhender le système de pouvoir local, et en particulier comment procéder à l’identification des acteurs qui ont pu participer à l’agenda de l’enjeu de la compétitivité. Cette question de caractère méthodologique est strictement liée à la façon dans laquelle on lit le pouvoir local. Ferraresi (1971) remarque comment l’approche des études élitistes (Hunter,1953) fondé sur la réputation, présuppose l’existence d’une structure de pouvoir préexistante, dans la quelle le pouvoir économique est dominant. Ici nous retrouvons le risque de la « naturalisation » d’une scène de pouvoir local. L’étude pluraliste de Dahl (1961) invalide ce présupposé théorique, en se concentrant sur le processus décisionnelles, cependant Dahl n’éclaircit pas comment un certain problème devient objet de décision collective. Les études successifs qui ont nourrit les urban studies, de matrice néo élitiste (Stone, 1989) et néo marxiste abordent de manière assez superficielle la question du choix des acteurs. Nous allons combiner des entretiens à caractère rétrospectif avec des grands témoins à une sélection de documents relatifs à des controverses sur le thème de l’attractivité locale.

Protocole de recherche

Schéma 1 Paradigme de recherche

L’approche comparative prend en compte deux cas d’étude, les systèmes urbains^[7]de Lyon et de Milan, sur un horizon temporel ample, des années 1965 à nos jours. Pour de raisons euristiques on a divisé notre analyse en trois période : 1965 – 1980, 1980 – 1995, 1995 – 2010. On va partir d’une liste de documents (tab. 1) afin de remonter aux acteurs impliqués à travers une démarche d’échantillonnage théorique.

On a construit notre corpus de textes dans le but de faire ressortir les cadres cognitifs d’action adoptés par différents acteurs à travers l’analyse de croyances et de stratégies autour du thème de l’attractivité du territoire. Le corpus est composé par de documents de différente nature, coproduits par plusieurs acteurs: - textes porteurs de discours politique (plan de mandat/discours d’investiture), - documents d’aménagement et d’urbanisme (SD / projets urbain – grands équipements), textes de planification stratégique et économique, où la thématique de l’attractivité locale est prégnante. Cette analyse nous permette de voir dans quelle mesure il s’agit d’un thème dominant et si des coalitions de pouvoir avec une forte homogénéité de croyances et de stratégies se structurent autour de ce policy issues.

Tableau 1 Corpus textes par période – Lyon

CORPUS / période	1965 -1980	1980-1995	1995-2010
Doc. aménagement - urbanisme	SDAU	SD	SCOT
Projet urbain - équipement - infrastructure	Satolas	Gerland	Confluence
Doc. planification stratégique - économique	SDAM	Lyon 2010	SDE

A ce propos l’utilise du logiciel ATLAS.ti nous permettra de systématiser l’analyse et de rendre visibles les idées et les catégories d’actions repérés dans les discours des acteurs, à travers des opérations de coding et d’établissement de relations logiques, en comblant un de points aveugles des approches cognitives, à savoir leur caractère parfois intuitif, et en assurant la comparaison et l’évaluation (nécessaire à la construction de théories) de résultats obtenus. En appui à cette première démarche, on mènera une étude quantitative pour mettre en évidence les dimensions de capitalisme urbain, susceptibles d’avoir un impact sur les formes de politiques d’attractivités menées (structure du tissu productif, marché de l’emploi, régime fiscal) à travers l’intégration de plusieurs base de donnés[8].

L’approche adoptée fait référence au courant interprétatif (Della Porta, Keating, 2008), dans une démarche très proche de la grounded theory (Glaser, Strauss, 1967), pour des raisons épistémologiques (voir l’importance accordée à la relation contexte – processus) et méthodologique, pour ce qui concerne le choix des acteurs (theoritical sampling e snowball sampling) et le style d’analyse (comparaison constante et construction théorique toute au cours de l’analyse). En ce sens nous rejoignons le constat dressé par Le Galès (2005) lorsqu’il souligne que «some constructionist approach is required to see how locally or nationally the problem is constructed by different actors, how adjustment process are taking place to define a cognitive frame which is adopted by actors, and what the relations of power are ». Finalement on cherchera à donner une réponse à un questionnement classique au centre des études urbaines (Dalla Porta, 2006), à savoir qui gouverne et qu’est ce qu’il change par rapport à l’agenda urbain.

Bibliographie

Brenner N., New States Spaces. Urban Governance and the rescaling of Statehood, Oxford, Oxford University Press, 2004.

Brenner N., “Cities and Territorial Competitiveness”, dans Chris Rumford (dir.),The Sage Handbook of European Studies, Londond, SAGE Publication, 2009a

Brenner N., “Is there a politics of ‘urban’ development? Reflections on the US case,” dans Dilworth R. ed., The City in American Political Development, New York: Routledge, 2009b, 121‐140.

Cox, K. R., “The Local and the Global in the New Urban Politics: A Critical View”, Environment and Planning D: Society and Space, 11, 1993, p. 433–48.

Dahl, R., Who Governs? Democracy and power in an American City, New Haven, Conn., Yale University Press, 1961

Della Porta, D., La politica locale, Bologna, Il mulino, 2006

Della Porta, D., Keating, M., « How many approaches in social sciences? », (intro), Approaches and methodologies in the social sciences. A pluralist perspective, Cambridge (MA), Cambridge University Press, 2008.

Ferraresi, F., Studi sul potere locale, Milano, Giuffré, 1971

Florida, R., The Rise of Creative Class, New York, Perseus Book Group, 2002

Glaser, B. G. and Strauss, A., L., The Discovery of Grounded Theory: Strategies for Qualitative Research. Chicago, Aldine, 1967

Harvey, D., “From managerialism to entrepreneurialism: the transformation in urban governance in late capitalism”, Geografiska Annaler, vol. 71 B, 1989

Hunter, F., Community Power Structure. A study of decisions makers, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1953

Jessop, B., “Towards a Schumpeterian Workfare State? Preliminary Remarks on Post Fordist Political Economy”, Studies in Political Economy, 40, 1993, p.7-39

Le Galès, P., Politique urbaine et développement local. Une comparaison franco-britannique, Paris, l’Harmattan, 1993

Le Galès, P. « Elusive Urban Policies in Europe » dans Kazepov (ed.), Cities of Europe. Changing contexts, local arrangements, and the challenge to urban cohesion, Oxford, Blackwell, 2005

Logan, J.R., Molotch H.L., Urban Fortunes. The political Economy of Place, Berkley, University of California, 1987

Painter, J., “Regulation Theory, Post-Fordism and Urban Politcs”, dans ed. D Judge, G Stoker, H Wolman, Theories of urban politics, London, Sage, 1995, pp. 276-95.

Pinson, G., Gouverner la ville par projet. Urbanisme et gouvernance de villes européennes, Paris, Presse de SciencePo, 2009

Stone C., Regime Politics: Governing Atlanta, 1946-1988, Lawrence, University Press of Kansans, 1989

Storper, M., Walker, R. A., The Capitalist Imperative: Territory, Technology and Industrial Growth, Oxford, Basil Blackwell, 1989

Veltz, P. “D’une géographie des couts à une géographie de l’organisation. Quelques thèse sur l’évolution des rapports entreprises / territoires », Revue économique, vol. 44, n. 4, pp. 671-684, 1993