Le march fait-il la ville? Ecole thmatique dÕAussois 2010
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Atelier 4: acteurs publics / acteurs privs
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La gare internationale lÕheure de lÕouverture la concurrence du rail:
jeux dÕacteurs et reconfiguration des enjeux.
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Etienne Riot
Laboratoire ville mobilit transports - Ecole des Ponts Paris Tech
etienne.riot@eleves.enpc.fr
Objet dÕtude historique[1], patrimonial[2], la grande gare est devenue un objet pluridisciplinaire[3] en fonction de contextes de recherches favorables[4], ports par la rforme ferroviaire depuis la fin des annes 1980. La redcouverte du lieu[5] et son investigation scientifique ont favoris sa connaissance minutieuse, souvent fragmente. Le rapprochement entre les considrations dÕinfrastructure et dÕamnagement avec celles des individus et de la force des interactions que provoque la gare a permis de rinventer les problmatiques souleves par les sciences sociales autour des gares : lieu de pouvoir et de leurs expressions, les gares deviennent depuis peu un objet dÕtude part entire pour la science politique[6].
En 1991, la directive europenne 91/440 de libralisation du transport ferroviaire de marchandises et de passagers acte lÕouverture la concurrence du chemin de fer. Trois tapes rglementaires – les Ē paquets ferroviaires Č - vont permettre lÕtablissement du nouveau cadre de concurrence par son intgration dans chacun des Etats membres. En 2001 la distinction entre infrastructure, rseaux et activit de transport est le pralable lÕouverture la concurrence du transport de marchandises, effective depuis 2005, puis lÕouverture la concurrence du transport international de passagers au 1er janvier 2010. Cette dernire tape consacre la nouvelle organisation ferroviaire en Europe : le nouveau schma dÕamnagement europen traduit la volont politique de doter lÕUnion de villes comptitives sur un plan mondial, structures entre elles de sorte quÕelles favorisent les changes et sÕaffranchissent des logiques territoriales issues des frontires.
Les gares internationales sont devenues depuis le 1er janvier 2010 lÕespace o sÕorganise une partie de cette concurrence. Cependant, leur amnagement, leur gestion et leur rgulation ont t influencs par les logiques conomiques prcdentes, notamment avec les monopoles ferroviaires. Cette situation offre lÕopportunit dÕinterroger le rapport qui lie la mise en place dÕune nouvelle rgle conomique et ses consquences sur le territoire physique o elle sÕapplique. Cette mise en place se traduit par des processus de dcisions institutionnelles dans lesquels les parties prenantes se recomposent en fonction de leurs intrts. Il sÕagit dans cette communication, de prsenter un axe de recherche qui appelle des rflexions mthodiques et thoriques pour tre dvelopp. La comparaison entre les situations franaises et italiennes est utilise en guise dÕillustration mais elle ncessiterait dÕtre interroge sur le plan de la mthode, la comparaison dÕorganisation et de modes dÕadaptation aux nouvelles rgulations conomiques sÕinscrivant dans les dbats soulevs par Dominique Lorrain[7].
La gare et lÕouverture la concurrence:
des principes de la mthode aux impratifs du lieu.
LÕouverture la concurrence implique une srie de changements dans lÕorganisation du secteur ferroviaire qui porte interroger la place des gares, de leur fonction, de leur espace et de leur gestion. Au premier rang des changements, la sparation entre lÕinfrastructure ferroviaire et lÕactivit de transport vise garantir la parfaite concurrence entre les transporteurs afin dÕviter tout avantage en termes de subventions publiques lÕun ou lÕautre des oprateurs qui inclurait dans son primtre le dveloppement et la gestion des infrastructures sans le distinguer de ses autres activits.
- Sparation comptable, sparation organisationnelle.
Diffrentes mthodes ont t mises en place par les Etats membres pour parvenir cette distinction. La sparation comptable consiste sparer, au sein de lÕactivit de lÕoprateur ferroviaire, les comptes budgtaires de lÕinfrastructure de ceux lis lÕactivit de transport. Elle permet de laisser dans le giron de lÕoprateur historique la gestion et le dveloppement des infrastructures tout en garantissant une tanchit comptable avec ses autres activits. Le plus souvent, cette sparation comptable sÕaccompagne dÕune constitution de lÕactivit de gestion de lÕinfrastructure ferroviaire en socit intgre dans le groupe ferroviaire historique.
LÕautre mthode, plus complexe, consiste retirer lÕoprateur historique lÕactivit de dveloppement et de gestion des infrastructures. Une nouvelle entit est cre, dont le statut peut tre public ou priv. Cette solution permet, si le nouvel tablissement cr est public, de laisser aux Etats une prrogative en matire dÕinvestissement et de dveloppement des infrastructures, ou, si le nouvel tablissement est priv dÕaccentuer la stimulation de la concurrence par la recherche de rentabilit des droits de page des sillons ferroviaires.
- La gare: une infrastructure part? La question de lÕidentit des gares dans les choix de distinction de lÕactivit de transport.
Les gares nÕont pas t concernes dans un premier temps par le premier paquet ferroviaire, qui prparait la sparation des infrastructures de rseau des activits de transport. Le principe de concurrence impliquait un accs aux gares sur une base quitable et non-discriminatoire. De fait, la question de lÕaccs au site a prvalu sur le principe de sa gestion. CÕest dans le cadre du deuxime paquet ferroviaire (libralisation du fret) puis du troisime paquet ferroviaire (transport international de passagers) que la question de la gestion et de la proprit des gares a t dfinie. Ds lors, la dfinition de la gare est devenue un lment central de la reconfiguration des enjeux son propos. Cette dfinition est articule sur deux notions: la proprit de la gare et ses principes de gestion, ce qui Ēfait gareČ.
„ En France la question de la proprit des gares est apparue progressivement dans le dbat parlementaire, lors de lÕlaboration de la loi dÕorientation et de rgulation du transport ferroviaire. La proprit tatique de la gare et la dlgation de la gestion de son espace la SNCF a t rappele puis confirme par la loi, alors que les premiers travaux des commissions parlementaires tendraient voquer quÕune alternative avait t envisage, pour confier ces espaces RFF. A lÕissue des dbats et des travaux, la SNCF sÕest vue confirmer la gestion des gares concernes par lÕouverture la concurrence - et dans le mme temps, ce principe a t tendu lÕensemble des gares du territoire national- , mais RFF est devenu un acteur part entire pour les gares nouvelles, dont il assurera le dveloppement et sera le propritaire.
„ Les gares internationales sont envisages au-del de lÕespace qui les caractrise. ĒFaire gareČ devient une question aussi essentielle dans la segmentation des activits de lÕoprateur historique que les principes de sa proprit. La dfinition des services apports en gare, les modalits de mise en oeuvre de la gestion de lÕespace et lÕvaluation de la rtribution quÕelle sous-tend deviennent des enjeux centraux lors de lÕouverture du trafic de passagers la concurrence.
- Sanctuariser la gare dans lÕactivit ferroviaire: les gares et la mise en oeuvre de la concurrence en France et en Italie.
LÕadaptation aux rgles de la concurrence implique de neutraliser lÕespace de la gare, afin quÕil ne prsente pas un avantage pour lÕoprateur historique. Sa gestion doit tre distingue des autres activits du transporteur. L encore, les logiques de distinction comptable ou organisationnelle ont t lÕoeuvre afin de se conformer aux principes de la concurrence. Cependant, les logiques de sparation entre infrastructure et rseau nÕont pas entran le mme choix pour la sparation de la distinction entre activit de gare et activit de transport.
„ Ainsi, le cas franais illustre cette discontinuit: RFF est un tablissement distinct de la SNCF (logique organisationnelle) alors que la gestion des gares est le coeur dÕactivit de la cinquime branche de la SNCF, Gares & Connexions (logique comptable). Gares & Connexions est charg de la gestion et du dveloppement de lÕensemble des 3000 gares franaises. Dans la conduite de ses missions, la branche dÕactivit dtient deux entreprises, A2C, pour la commercialisation des espaces de la gare, et AREP, cabinet dÕarchitecture et dÕurbanisme pour lÕamnagement et la construction des gares.
„ En Italie, le modle de Rete Ferroviara Italiana (RFI) - entreprise couverte par la holding Ferrovie Dello Stato (FS) selon une logique comptable - nÕest pas repris intgralement lors de la constitution de lÕactivit gares. Deux entreprises de la holding sont ddies la gestion et au dveloppement des gares italiennes. Grandi Stazioni regroupe les 13 plus grandes gares italiennes, dont les gares qui accueillent les nouveaux oprateurs de transport international de passagers. Cento Stazioni coiffe les gares intermdiaires et les petites gares. La distinction des gares en fonction de leurs tailles - et de leur capacit de rentabilit conomique - sÕaccompagne dÕune ouverture du capital au-del de lÕoprateur historique (Grandi Stazioni est dtenue 60% par la holding FS), ce qui permet thoriquement le dpassement de la logique comptable pour une logique organisationnelle, les jeux de la capitalisation pouvant conduire sparer une des entreprises de la holding. Cette logique est accentue par la mission de construction et de rhabilitation des gares RFI, dmontrant, contrairement au cas franais, que la mission de gestion des gares (Grandi Stazioni, Cento Stazioni) est clairement distincte de celle de leur amnagement (RFI).
- La logique de la concurrence et la valorisation de lÕespace de la gare.
Dans une situation de concurrence, les oprateurs ferroviaires doivent disposer de sillons jusquÕen gare, cÕest dire, dÕaccs au rseau ferr pour un trajet dtermin. LÕaccs au rseau ferr est factur par le gestionnaire dÕinfrastructure. Les sillons aboutissent dans la gare par les quais. LÕusage dÕun quai en gare est factur dans la logique de concurrence. La facturation des services en gare rpond de tarifs complexes dont la dfinition, si elle est clairement affiche par un document de rfrence, est aussi fonde sur la qualit des services de gares offerts aux oprateurs: prestation de base, puis services complmentaires (information passagers, salles dÕattente, guichets) et prise en compte des amnits de lÕespace.
Dans cette logique, la valorisation des espaces de la gare devient un enjeu dÕamnagement: la recherche des services les plus efficaces et dÕun niveau de confort lev permettra de facturer une prestation dÕaccueil en gare servant lÕquilibre conomique du gestionnaire des gares. Sur lÕespace strictement ferroviaire (quais, zones dÕembarquement en cas dÕespace frontire), lÕoptimisation et la valorisation des capacits dÕaccueil des trains est place dans une optique de rentabilit ou du moins, dÕaccroissement des possibilits de trafic pour accrotre les redevances en gare.
Nouveaux enjeux, nouveaux acteurs?
LÕintroduction du principe de concurrence dans le transport ferroviaire de passagers peut-elle tre considre comme un changement pour lÕorganisation, la rgulation, la gestion des gares internationales? A ce stade de la recherche, une approche par lÕanalyse des politiques publiques devra tre mene pour interroger les fondements dÕun rel changement pour les gares, car la description factuelle, quand bien mme elle dessine les contours des enjeux en place, ne suffit pas soulever les facteurs intrinsques qui conduisent aux formes dÕorganisation dÕun pays un autre, dÕune entreprise une autre voire mme, rvler les freins lÕapplication du principe de concurrence dans lÕespace de la gare[8]. Nanmoins, si lÕon sÕen tient une prsentation sommaire de ce terrain dÕtude, on peut constater, que la concurrence semble aussi modifier les jeux dÕacteurs dans le champ de la gare.
- Acteurs publics, acteurs privs: une frontire remise en cause par le principe de concurrence?
LÕautonomisation des gares dans lÕactivit conomique ferroviaire produit des formes dÕorganisation et de gestion o le recours de nouveaux acteurs semble accompagner la recherche de rentabilit de lÕespace et des investissements ncessaires pour le maintien de son attractivit.
„ En France, Gares & Connexions a expriment trs rcemment le partenariat public priv pour dvelopper lÕinfrastructure de la gare du Nord. La reconstruction dÕune partie de la gare du Nord, dite mezzanine de la gare, a conduit au premier partenariat entre la SNCF et un oprateur de centres commerciaux qui a obtenu dlgation de gestion de lÕespace. Cette forme dÕinvestissement, si elle nÕest pas la consquence de lÕapplication de la concurrence en gare est cependant cite en exemple comme future mthode applicable pour les gares. En projet, lÕimplantation dÕune liaison directe entre Paris Est et lÕaroport Charles de Gaulle serait envisage sous la forme dÕun partenariat public-priv avec le groupe Vinci. Vinci, la tte dÕun groupement comprenant une filiale de la SNCF, deviendrait de facto oprateur de transport une fois le projet concrtis puisquÕil assurerait la gestion de la ligne avec un principe de concession.
„ En Italie, la gestion , stricto sensu, des gares internationales par Grandi Stazioni, conduit lÕentreprise dvelopper une politique commerciale oriente non vers les oprateurs ferroviaires, mais vers les acteurs conomiques commerciaux. Les grandes gares sont prsentes comme des crins dÕoprations publicitaires de grande envergure, o lÕensemble du patrimoine de la gare peut tre mis contribution pour un affichage, lÕorganisation dÕun vnement commercial etc.. La gare de Milan est aussi repense en fonction de son potentiel commercial et ses voyageurs sont considrs comme des consommateurs dans le nouvel espace amnag sous la salle des pas perdus.
Le rle des acteurs publics locaux ne doit pas tre nglig dans lÕtude des gares. Au-del de la fonction industrielle du lieu, la gare est un espace urbain part entire dont les collectivits locales tendent vouloir influencer le dveloppement. LÕinteraction entre le lieu et la ville se construit sur les questions dÕaccessibilit, de valorisation des abords de la gare et de la tentative de tirer bnfice des nombreux flux que la gare gnre. Avec lÕouverture de la concurrence et la transformation de la gestion des gares, ces interactions avec les collectivits locales peuvent se modifier. De plus, la rorganisation institutionnelle des chelles territoriales peut amener des collectivits (comme les Rgions par exemple) devenir oprateurs de transport et devenir des interlocuteurs du gestionnaire de gare.
- Comment considrer les acteurs dans un contexte de changement?
Si lÕon considre la gare comme un fragment de lÕespace urbain, lÕtude de ses acteurs appelle une rflexion mthodique pralable. Comment doit-on aborder les diffrents acteurs qui agissent dans la rgulation, lÕamnagement et la gestion des gares internationales en situation de concurrence: doit-on considrer les acteurs en fonction des intrts quÕils dveloppent les uns avec les autres, sÕattacher replacer chaque acteur en fonction de lÕchelle territoriale dans laquelle il sÕinscrit, lÕtudier dans la perspective de son volution? Des choix de mthodes et des modes de recherche peuvent avoir pour consquence de comprendre diffremment le rapport entre les gares et lÕadaptation au principe de concurrence des transporteurs ferroviaires, et ses rpercussions dans la production dÕune organisation de lÕespace public.
A ce stade de la recherche, on peut illustrer ces enjeux de recherche en prsentant lÕexemple des restaurateurs de passagers en gare, dont le rle dÕacteur priv volue:
„ En France, les restaurateurs de passagers sont des partenaires de longue date de lÕactivit des gares. Cependant, avant la mise en place des rgles de la concurrence en gare, les espaces commerciaux non-ferroviaires taient allous de manire globales en fonction de lÕutilit du commerce propos. Ainsi, dans une grande gare, lÕensemble des espaces de restauration tait attribu un oprateur, qui se chargeait ensuite de la construction dÕune offre diversifie. Dsormais, selon A2C, filiale de Gares & Connexions, lÕespace de la gare est morcel en diffrents ilots, ce qui ouvre la perspective dÕune concurrence entre les diffrents oprateurs de restauration par exemple. LÕabsence de capitaux privs dans le groupe SNCF et ses branches dÕactivits sous-entend une contractualisation permanente avec les groupes privs. Ces derniers dveloppent des stratgies pour conqurir des espaces en gare qui soient les plus rentables et les plus utiles au dveloppement de leur offre conomique. LÕespace de la gare devient un enjeu de partage de la rente quÕelle peut apporter.
„ En Italie, les restaurateurs de passagers sÕinscrivent dans une longue histoire o les grandes enseignes, comme le groupe Autogrill, proprit de Benetton (Edizione Spa), ont faonn le paysage des transports par lÕimplantation de grandes zones de restauration aux bords des autoroutes, dans les aroports et dans les gares. A lÕinverse de la France, la holding FS ouvre la possibilit une capitalisation prive de certaines des ses filiales. CÕest le cas pour Grandi Stazioni, o 60% du capital sont dtenus par la holding historique, et les 40% complmentaires sont dtenus par un consortium europen qui regroupe la SNCF, la socit Pirelli et, le groupe Benetton, propritaire des grandes entreprises de restauration de passagers. Cette situation illustre lÕintgration plus avance des acteurs privs de la restauration de passagers, non pas comme prestataires et allocataires des espaces de gare, mais comme propritaires et partenaires industriels de lÕentreprise de gestion des gares.
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[1] Richards J., Mackenzie J., The Railway Station: a Social History, Oxford University Press, Oxford, 1986.
[2] Bowie K., Ē LÕclectique pittoresque Č et lÕarchitecture des gares parisiennes au XIXme sicle, thse de 3me cycle sous la direction de Marc Le Bot, Universit de Paris I, U.E.R. dÕart et archologie, 1985.
[3] Joseph I. (dir), Villes en Gare, Paris, Editions de lÕAube, 1999.
[4] Ē Gares en mouvement Č, Annales de la recherche urbaine, n”71, juin 1996.
[5] Clot-Goudard R., Tillous M., Ē LÕespace du rseau : du flux au territoire. Le tournant pragmatiste engag par Issac Joseph. Č, Tracs. Revue de Sciences humaines, 15/2008, ENS Editions.
[6] Voir Bonnet F., La production organise de lÕordre, Thse de doctorat en sociologie sous la direction de Patrick Le Gals et Ota De Leonardis, Institut dÕEtudes Politiques de Paris et Universit Degli Studi di Milano Biccoca, 2006;
Damon J., ĒLa gare des sans-abris. Un miroir de la question sociale Č, Annales de la recherche urbaine, n”71, juin 1996, pp. 120-126.
[7] Lorrain D., ĒCapitalisme urbain, des modles en mutationČ, in LÕanne de la rgulation n”6, Association recherche et rgulation, 2002.
[8] Voir Lorrain D., op. cit.