Le march fait-il la ville? Ecole
thmatique dĠAussois 2010
http://controverses.hypotheses.org/
Pauline Gabillet,
Doctorante au LATTS
Les SEML
nergie, des socits anonymes aux mains des collectivits ?
(nouvelle
version – 13/02/2011)
Les
socits dĠconomie mixte locales (SEML) sont des socits anonymes rgies par
le Code gnral des collectivits territoriales. Le principe de lĠconomie
mixte consiste raliser la jonction entre le public et le priv au sein
dĠentreprises destines assurer des services relevant des comptences des
collectivits locales (comprenant la ralisation ou la gestion de missions et
de services d'intrt gnral[1]).
Leur capital est majoritairement dtenu par une ou plusieurs collectivits
territoriales, le reste du capital tant dtenu par des actionnaires privs[2].
Bien quĠtant des acteurs majeurs de la fabrique urbaine, au centre de nombreux
projets dĠamnagement, de dveloppement conomique ou encore de services, les
SEML ont t peu tudies au niveau de lĠurbanisme ou de lĠanalyse des
politiques publiques (Caillosse, Le Gals, Loncle-Moriceau 1997 ; Da Rold, 2008). Ces structures reprsentent pour les
collectivits locales un instrument relativement souple quĠelles peuvent
contrler.
LĠnergie, et notamment la distribution dĠlectricit, de
gaz ou de chaleur, dont les communes sont autorits concdantes, constitue un des domaines dĠintervention des SEML. La Ville
tudie[3]
a la particularit dĠtre actionnaire majoritaire de deux SEML nergie. Une
entreprise locale de distribution (ELD) assure la distribution dĠlectricit et
de gaz sur le territoire municipal. Cette ancienne rgie municipale sĠest maintenue
et a continu distribuer malgr la cration dĠEDF et de GDF en 1946 (Poupeau,
2004 ; Bouvier, 2005 ; Poupeau, 2007). En 1986, le maire RPR a
transform la rgie en SEML et a fait entrer la Lyonnaise des Eaux –
aujourdĠhui GDF-Suez – dans son capital. La Ville est actionnaire
majoritaire avec 50% +1 du capital et GDF-Suez dtient 42,5%. La distribution
de chaleur sur le territoire municipal ainsi que sur cinq autres communes de
lĠagglomration est assure par une seconde SEML. Son capital est dtenu 52%
par la Ville, 5% par la communaut dĠagglomration et 42% par Dalkia, une
filiale de Veolia. Ces structures sont un lieu de recomposition des
interactions public/priv et des modalits de la fabrique urbaine.
La
prsence des collectivits et de grands groupes industriels dans lĠactionnariat
des structures interroge leur influence sur le service assur par lĠentreprise.
Les actionnaires sont-ils en capacit dĠorienter lĠaction des SEML
nergie ? LĠELD de gaz et dĠlectricit entretient des relations marques
par une certaine volont dĠautonomie vis--vis de ses actionnaires, qui
conservent cependant une influence notable (I). Cette influence permet la
Ville dĠintervenir notamment sur lĠenjeu de la coordination des rseaux tout en
contraignant ses choix (II).
I LĠentreprise locale de distribution,
une structure en rapport de force avec ses actionnaires
Ç La cration de SEML peut correspondre la cration
dĠun outil pour lĠaction collective de plusieurs partenaires visant raliser
des projets ou grer des services. A lĠinverse, les SEML peuvent devenir des
organismes semi-autonomes sous le contrle purement formel dĠlus, jouant leur
partition au gr de leurs intrts et parfois contre les services des
collectivits locales È (Caillosse, Le Gals, Loncle-Moriceau 1997)
Le statut
de SEML donne la Ville et GDF-Suez un poids important dans la gouvernance
de lĠELD. Nanmoins sa taille – 400 salaris, 98 000 clients en
lectricit et 48 000 en gaz – ainsi que sa position au sein des
industries lectriques et gazires, lui permettent de sĠinscrire dans un
rapport de force avec ses actionnaires.
a)
Une revendication
dĠautonomie de par sa position au sein du secteur nergtique
La
question de la place du politique prend une dimension particulire dans les
SEML nergie. Un charg de mission de la Fdration des entreprises publiques
locales explique ainsi que comme certaines SEML relvent dĠun projet politique
comme lĠamnagement, lĠimmobilier social ou le dveloppement conomique, les
lus doivent y jouer un rle central. Dans des domaines comme celui de
lĠnergie, ce ne sont actuellement pas les lus qui ont le savoir-faire.
LĠnergie nĠapparait pas comme un projet politique mais comme un service
public, lĠintrt des lus tant uniquement que le service soit assur. Dans ce
cadre, sĠappuyant sur une forme de lgitimit technique, lĠELD affirme son
autonomie vis--vis de la collectivit. CĠest en tant quĠentreprise locale de
distribution quĠelle tente dĠy parvenir.
Les entreprises locales de distribution
ont leur propre histoire. AujourdĠhui au nombre de 169, elles disposent dĠune
lgitimit propre et sont au cÏur dĠenjeux spcifiques au secteur nergtique
quĠelles dfendent par le biais de structures de reprsentation[4].
Elles ont des statuts trs diffrents – Sicae,
SEML, rgieÉ (Bouvier, 2005) – et seules les structures les plus
importantes sont devenues des SEML. Cette position au sein du secteur
nergtique est une source de lgitimit distincte de celle de la Ville qui
permet lĠELD de sĠmanciper de son actionnaire majoritaire. En bref, il
sĠagit de sĠinscrire plus dans cette filiation du secteur nergtique, ce qui
permet dĠaffirmer une certaine autonomie, que dans celle de lĠconomie mixte
locale.
Cependant, le statut de SEML est le cadre
partir duquel sĠorganise la gouvernance de la structure. Son prsident est un
lu de la Ville. Il prside le conseil dĠadministration au sein duquel sont
reprsents les actionnaires et donne les grandes orientations de lĠentreprise.
Ses fonctions sont cumules ou non avec celles de directeur gnral, qui
dispose du vritable pouvoir oprationnel dans lĠentreprise. De 1995 2008, un
lu de la Ville tait prsident directeur gnral. Il a fortement rduit les
liens avec la Lyonnaise des Eaux, alors trs influente sur la stratgie. Cet
ancrage de lĠELD dans son rle de service public local nĠa cependant pas t
synonyme dĠun vritable retour dans le giron de la Ville, dont la place a aussi
t limite. LĠentreprise a ainsi t gre de faon relativement autonome, les
actionnaires recevant des dividendes importantes mais nĠorientant que peu les
stratgies de lĠentreprise.
b)
La nouvelle quipe
dirigeante : dĠune coupure une relation ngocie
En 2008,
principalement du fait dĠenjeux politiques locaux, les fonctions de prsident
et de directeur gnral ont t dissocies. Le nouveau prsident, la
diffrence de son prdcesseur, revendique en premier lieu son appartenance
la Ville et sĠimplique de manire beaucoup plus rduite dans la gouvernance de
la SEML. Le nouveau directeur gnral, en charge de la gestion de lĠentreprise,
est dtach du groupe GDF-Suez, une pratique que lĠon retrouve dans diffrentes
SEML de services.
Cette nouvelle quipe dirigeante et plus globalement les
volutions de lĠouverture du secteur nergtique la concurrence amnent des
changements dans le positionnement de lĠentreprise. LĠouverture des marchs de
2000 a transform le rapport des entreprises locales de distribution aux
collectivits locales. Disposant du monopole de la distribution en lectricit
et/ou gaz sur le territoire de leur autorit concdante, ici la Ville, elles
ont conserv ce monopole pour la distribution mais lĠont progressivement perdu
pour la fourniture dĠnergie, pour aboutir une ouverture totale en juillet
2007[5].
Les entreprises nĠont donc plus le monopole de la fourniture sur leur
territoire mais nĠy sont plus restreintes. LĠELD sĠest reconfigure pour
rpondre aux dfis de cette concurrence et a notamment cr en 2005 avec
dĠautres entreprises locales de distribution une filiale de commercialisation
avec lĠobjectif de conqurir de nouveaux clients sur le territoire national.
Cette stratgie a abouti un dtachement vis--vis de son actionnaire
majoritaire, cette politique ne relevant pas de son territoire. Cependant en
novembre 2009, du fait dĠune ouverture des marchs moindre que prvue et du
changement de direction, lĠELD a revendu ses parts de la filiale commune pour
se concentrer sur une filiale prexistante la zone dĠinfluence limite
lĠchelle rgionale. Cette sortie rvle un changement de stratgie de la part
de lĠentreprise, valorisant son ancrage local et renouant avec la mise en avant
de sa proximit avec la Ville.
Plus largement, lĠarrive de la nouvelle direction est alle
de pair avec une reconsidration de la position de la Ville et de GDF-Suez dans
la gouvernance de lĠentreprise. La Ville tente depuis 2007 dĠorienter lĠaction
des tablissements publics et SEML au sein desquels elle a des participations,
dans une logique de holding. Le cÏur de ce projet port politiquement par le
maire est la Charte du Groupe Ville, signe en juillet 2007 entre la Ville et
ses satellites. La direction du contrle de gestion externe labore avec les
services techniques de la Ville des notes dĠorientation et des lettres de
cadrage. Ces documents, co-dfinis avec les satellites, fixent des objectifs et
des indicateurs pluriannuels pour ces structures. Ce systme fonctionne bien
avec la plupart des satellites mais est complexe mettre en Ïuvre avec lĠELD. LĠentreprise
nĠa pas t suffisamment implique dans lĠlaboration de la note dĠorientation
nergie, ce qui a entrain des tensions et une incomprhension rciproques. La
stratgie de lĠentreprise est aussi moins radicale que prcdemment concernant
la relation avec le principal actionnaire priv, GDF-Suez. Les liens avec le
groupe sont plus importants quĠauparavant et visent bnficier de son soutien
logistique, financier, technique. Il ne sĠagit pas de se considrer comme
partie intgrante du groupe mais de valoriser la complmentarit des structures
et lĠapport mutuel dĠune action conjointe sur certains projets. Un projet de
rseau intelligent a ainsi t mont par lĠentreprise en associant notamment GDF-Suez,
la Ville ainsi quĠune grande ville voisine et ERDF. Ce projet illustre
lĠvolution du positionnement de lĠentreprise, orient vers la recherche de relations
de partenariat avec ses actionnaires pour lui permettre de mettre en place ses
projets.
Le rapport la Ville et GDF-Suez est donc marqu par une
autonomie revendique mais de plus en plus ngocie. Les actionnaires,
principalement la Ville, ont une capacit dĠaction sur lĠentreprise, ce qui
amne lĠide dĠune place du politique sur lĠnergie.
II La coordination des rseaux :
la Ville contrainte par ses SEML ?
En tant quĠactionnaire majoritaire des deux SEML nergie, la
Ville a une influence sur ces structures et recherche leur bonne sant
conomique. Le cas de la coordination des rseaux permet de questionner les
critres sur la base desquels la Ville influe sur la fabrique urbaine par le
biais de ces structures.
a)
Une rpartition
possible du fait de la prsence des deux SEML
Les rseaux de distribution
dĠlectricit, de gaz et de chaleur, techniquement indpendants, sont
concurrents concernant les usages de la chaleur. La Ville, du fait de son
statut dĠautorit concdante, a une comptence en matire de coordination des
rseaux de distribution dĠnergie, dont lĠobjectif serait une Ç optimisation
des investissements de distribution et des usages par une rpartition du
dveloppement des rseaux sur le territoire[6] È.
Cette comptence est peu mise en Ïuvre car les possibilits juridiques ne sont
pas claires et quĠimposer des socits prives de taille nationale voire
internationales de se coordonner et de limiter leur expansion en fonction des
autres rseaux est difficile. La Ville a des capacits supplmentaires sur
cette question du fait de ses participations dans les deux SEML nergie.
Aprs une phase de planification trs forte de 1965 1983
visant permettre le dveloppement du rseau de chaleur,
lĠinterventionnisme municipal a t remis en cause. En a dcoul une priode de
concurrence importante entre les deux SEML partir des annes 1990. Des offres
commerciales taient faites aux promoteurs pour obtenir de nouveaux clients. La
Ville a continu intervenir mais sur des critres peu explicits. Depuis
2008, la coordination des rseaux a pris de lĠampleur, du fait du dveloppement
de la qualit nergtique des btiments dans les nouvelles ZAC qui rduit les
consommations de chauffage et donc les revenus des SEML ; des nouvelles
quipes dirigeantes des deux structures, plus disposes communiquer, et du
repositionnement global de la Ville avec le Groupe Ville. La Ville formalise
son intervention, demandant des tudes ses deux distributeurs pour ngocier
des solutions avec eux.
b)
Des choix contraints
par la prsence des SEML
La Ville
cherche actuellement dfinir des critres de rpartition correspondant sa
politique nergtique globale, marque par une volont de rduire ses missions
de gaz effet de serre. Elle valorise celui du CO², ce qui convient au
rseau de chaleur dont la principale politique est de dvelopper le bois
nergie pour rduire ses missions. A lĠinverse, lĠELD, dsavantage sur la question
du CO², appuie lĠinstauration dĠun choix multicritres, intgrant
notamment la rentabilit des installations. Malgr cette volont de la Ville
dĠarticuler gouvernance des entreprises et politique nergtique locale, ses
dcisions conservent une dimension de rpartition forte entre les deux
socits. Elle est ainsi dĠune certaine manire contrainte par leur prsence
car ne peut pas mettre en pril lĠune des deux socits en ne lui tant toute
possibilit dĠexpansion. La rpartition ne peut donc pas amener des choix
radicaux et doit convenir aux deux SEML.
De plus, malgr le dveloppement de ces
critres, les solutions alternatives aux deux SEML, telles que des chaufferies
bois indpendantes, sont rares. Les projets allant
dans ce sens font lĠobjet dĠune forte contestation par les SEML la Ville. La
Ville est donc contrainte dans ses dcisions par ses participations qui lui
permettent une intervention renforce, mais empchent aussi la ralisation de
choix tranchs et limitent la possibilit dĠautres solutions.
á á á á á
La Ville
a donc une capacit dĠintervention vis--vis de son ELD. Les lus prennent des
dcisions, font des arbitrages. LĠELD est ainsi une socit anonyme sur
laquelle la Ville a une influence. Cependant, comme le montre le cas de la
coordination des rseaux, la prsence des deux SEML reprsente aussi une
contrainte dans la ralisation de sa politique nergtique locale, limitant le
champ des possibles. LĠaction de la Ville en tant que collectivit locale est
donc favorise mais contrainte par sa position dĠactionnaire majoritaire.
Bibliographie
BOUVIER Guillaume, Les collectivits locales et
lĠlectricit, Thse de gographie mention gopolitique, Universit Paris
8, Institut franais de gopolitique, 2005, 535p
CAILLOSSE Jacques, LE GALES Patrick, LONCLE-MORICEAU
Patricia, Ç Les socits dĠconomie mixte locales : outils de quelle
action publique ? È, p 23-97, in GODARD Francis (dir),
Le gouvernement des villes, Territoire et pouvoir, Descartes et Cie,
1997, 287p
DA ROLD Jacques, Les socits dĠconomie mixte
locales : acteurs et tmoins des politiques urbaines et territoriales,
Thse dĠamnagement de lĠespace et urbanisme, Universit Bordeaux 3, 2008, 506p
POUPEAU Franois-Mathieu, Le service public la
franaise face aux pouvoirs locaux Les mtamorphoses de lĠEtat jacobin,
CNRS Editions, Paris, 2004, 246p
POUPEAU Franois-Mathieu, Ç Les entreprises locales
dĠnergie. Un levier dĠaction pour certaines villes franaises ? È, Les
Annales de la recherche urbaine, nĦ103, 2007, p 153-158
[1]
Article L1521-1 du CGCT
[2]
Les collectivits locales dtiennent entre 50% + 1 action et 85%, les
actionnaires privs dtenant le reste soit entre 15% et 50% - 1
[3]
Pour des raisons de confidentialit, nous ne donnerons pas le nom de cette
collectivit.
[4] FNCCR, ANROC,
FNSICAE, ELE, UNELEG, SPEGNN
[5]
Leurs concurrents sont les fournisseurs alternatifs – Poweo,
Direct EnergieÉ – ou historiques – EDF et les autres ELD
[6]
Amorce, Ç Comptences nergie-climat des collectivits : analyse
et rflexions sur la rpartition des rles È, 30 dcembre 2009, Synthse
du groupe de travail Ç Comptences nergie climat des
collectivits È, runi 4 fois en 2009