Le marchŽ fait-il la ville?  Ecole thŽmatique dĠAussois 2010

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Axe intitulŽ Ç Le r™le de lĠargent dans la transformation des Žchanges urbains È.

 

 

Entre indiffŽrence et entraide au quotidien dĠun quartier lausannois

 

May Du

 

 

            La ville est rŽputŽe pour ses liens impersonnels entre les individus, si lĠon reste au traditionnel clivage ville/campagne. Cette dernire ˆ lĠambiance villageoise se verrait contenir des liens interpersonnnels plus Žtroits. Si cette sŽparation est ˆ nuancer selon les pays et les rŽgions – par exemple en Suisse, cette frontire a tendance ˆ sĠestomper (Pattaroni 2009) – cela nĠempche pas le surgissement dĠ”lots de convivialitŽ au sein des mŽtropoles. Il sĠagit dĠune des fonctions des quartiers urbains (Noschis 1984, Sansot 2004) : autour dĠune appartenance commune, promouvoir des liens de proximitŽ entre les habitant-e-s.

Le cadre de lĠŽtude prŽsentŽe dans cette contribution est un quartier lausannois en voie de gentrification (Glass 1963 ; Ley 1996 ; Smith 1979) : le Maupas. Etant donnŽ ce processus en cours, des catŽgories de population (Chalvon-Dermersay 1998) pouvant sĠarticuler autour de leur Žtablissement rŽcent (les nouveaux-elles arrivant-e-s) ou de longue date (les ancien-ne-s habitant-e-s), se c™toient quotidiennement. Un quartier qui se gentrifie est un quartier qui se rend visible en tant que Ç quartier È. En dĠautres termes, une appartenance et une identitŽ partageable par les habitant-e-s Žmergent et tendent ˆ se stabiliser. Les liens sociaux sont dans ce contexte par consŽquent des ŽlŽments primordiaux ˆ lĠactualisation et au maintien de lĠidentitŽ commune quĠest celle dĠtre un-e habitant-e du Maupas.

Les situations o la notion dĠŽchange occupe le premier plan dĠaction comme pour les relations marchandes, sont analysŽes ici. En contraste avec la convivialitŽ requise dans la vie dĠun quartier urbain, ces situations sont interrogŽes dans teneur relationnelle (Dubuisson-Quellier 1999 ; Jeantet 2003). Quelles formes de relations sociales configurent les situations avec Žchanges marchands dans un quartier urbain ? QuĠest-ce que cela implique le fait que de telles situations ont pour cadre de pertinence un quartier dont les personnes coprŽsentes sĠy sentent attachŽes ?

Afin de contrebalancer les analyses de ces premires situations, je vais mobiliser en parallle des situations dĠaide apportŽe ˆ une personne ‰gŽe. Avec lĠidŽe que ce cas de figure mettrait en Ïuvre des logiques dĠaction qui nĠont rien ˆ voir avec les logiques dĠŽchanges marchands, je vais aussi interroger ici la teneur relationnelle des ces dernires situations. Quelles formes relationnelles construisent les situations dĠaide apportŽe ˆ une personne ? LĠappartenance commune ˆ un quartier suffit-elle ˆ rendre possible de telles situations ? ainsi que de pacifier les interactions dans le cadre dĠune entraide ?

 

 

Situations avec Žchanges marchands

 

            La mŽthode utilisŽe pour saisir les donnŽes empiriques est lĠobservation-participation. Pour le cas de lĠentraide, les observations sont phŽnomŽnographiques (Piette 2009a ; 2009b). Si lĠengagement et la participation de lĠenqutrice contribuent ˆ chaque fois au dŽroulement de ce qui est observŽ, la prise en compte dans les descriptions et les analyses de lĠŽventuelle influence due ˆ sa prŽsence Ç naturelle È en tant quĠhabitante du quartier, permet de saisir non seulement ce qui est perceptible par les sens humains, mais aussi des Žmotions, des postures normatives (jugements de valeur par exemple) et des intentions. Cherchant ˆ apprŽhender les manires dont les personnes procdent pour se rendre tant™t prŽsentes tant™t absentes, pour sĠengager pleinement, ˆ demie mesure ou de faon dŽtournŽe, la phŽnomŽnographie procure un outil supplŽmentaire dans les mŽthodes observationnelles.

La mŽthode phŽnomŽnographique se couple avec lĠapproche praxŽologique (QuŽrŽ 1991) de la communication dans cette recherche, car les phŽnomnes ŽtudiŽs sont des phŽnomnes communicationnels.

 

Ç Le magasin du quartier È

 

Le premier magasin ŽtudiŽ est un magasin dĠalimentation et de produits de premire nŽcessitŽ qui est aisŽment reconnu par les habitant-e-s du quartier comme Žtant Ç le magasin du quartier È. On y retrouve toutes les couches de la population, toutefois ˆ des heures et dans des modalitŽs de frŽquentation distinctes. Les Žcoliers-ires et les travailleurs-ses non-rŽsident-e-s du quartier sĠy retrouvent ˆ lĠheure de midi, et les premiers-res Žgalement ˆ leur sortie dĠŽcole vers 16h00. Les rŽsident-e-s actifs-ves sont plus reprŽsentŽ-e-s ˆ lĠheure de la fermeture du magasin, vers les 18h-19h. Et les personnes retraitŽes et celles ˆ mobilitŽ rŽduite sont plus visibles durant les heures Ç creuses È, cĠest-ˆ-dire dans la matinŽe ou au milieu de lĠaprs-midi.

La fonction principale de ce magasin Žtant de proposer des produits que les consommateurs-rices peuvent se procurer au moyen dĠargent, celui-ci met en place un cadre de relation de service qui ne diffre pas des magasins qui nĠont pas spŽcialement un ancrage dans un quartier, tel que les supermarchŽs construits dans les zones commerciales. La plupart du temps, une seule caisse est ouverte dans ce magasin du Maupas. Une deuxime est ouverte quand le nombre de personnes qui font la queue est important, cĠest le cas souvent aux heures de fermeture. La situation archŽtypique de paiement ˆ la caisse se dŽroule en trois Žtapes : dĠabord arriver et attendre son tour, ensuite payer, et enfin laisser la place et partir. LĠŽchange de marchandises contre de lĠargent se fait en gŽnŽral sans problme, car il relve de logiques de transaction dont les termes sont acceptŽs par les participant-e-s. Du fait de la nature de lĠŽchange (Marx 1985), lĠimpersonnalisation intrinsque ˆ lĠusage de lĠargent se rŽpercute sur la configuration de la relation interpersonnelle quĠil donne lieu. Il est possible dĠailleurs de conduire ˆ bon escient lĠactivitŽ de paiement sans Žchanger de paroles.

Le plus souvent, les situations de relation de service marchand qui ont lieu dans ce magasin de quartier comprennent des Žchanges verbaux en plus des gestes et des regards minimaux nŽcessaires au bon dŽroulement de lĠactivitŽ. Un-e habituŽ-e du lieu est en interaction verbale souvent avant mme dĠarriver ˆ la caisse. En croisant un-e employŽ-e du magasin qui est en train de remplir un rayon de produits, lĠhabituŽ-e Žchange dŽjˆ ˆ ce moment-lˆ des salutations. ArrivŽ-e ˆ la caisse, il-elle rŽpond au bonjour du/de la caissier-re. SĠil est finalement rare quĠun-e client-e reste un long moment ˆ bavarder avec le-la caissier-re, les signes de lĠinscription dans un quartier – et participant de ce fait ˆ la construction mme ce quĠest le quartier du Maupas – de ce magasin se ressentent et sĠobservent dans les pourtours de la situation critique quĠest celle du paiement ˆ la caisse (Ç critique È car souvent il sĠagit dĠeffectuer son paiement dans les plus brefs dŽlais afin de faire avancer la file dĠattente).

 

Deux voisins qui se rencontrent et discutent devant un rayon du magasin ; une femme qui dit ˆ la caissire quĠelle revient avec lĠargent manquant, les courses sous les bras, car elle Ç habite juste ˆ c™tŽÉ autant dŽjˆ amener les courses ˆ la maison È ; un homme qui fait les frais de plaisanterie de deux habitantes du quartier parce quĠil sĠest fait remarquŽ en payant ses commissions avec un billet de mille francs, avec la brimade Ç maintenant tout le quartier est au courant È.

On peut dire que les situations ŽvoquŽes ici ont ŽtŽ possibles parce que le Ç quartier È du Maupas Žtait une rŽfŽrence plus ou moins partagŽe, en tout cas communŽment intelligible dans ces situations. Dans le sens quĠil est accessible ˆ tous (Relieu 2003), un magasin est un espace public urbain (Chanial 1992 ; Joseph 1984, 1996, 1998) avec une orientation particulire concernant les interactions qui y prennent place : la relation de service marchand.

Il y a dans ce magasin du Maupas des situations qui mettent en place des logiques pouvant tre en contradiction avec la logique marchande. Il sĠagit par exemple du rŽgime dĠinterconnaissance, cĠest-ˆ-dire le surgissement de liens privŽs dans un lieu public, dans le cas de rencontre entre voisins. CĠest aussi la dŽrogation, ou du moins la flexbilisation de la rgle de Ç payer pour acquŽrir È, dans la situation de la femme qui sĠen va avec ses courses et revient payer aprs. La remarque sur le billet de mille francs dŽnote dĠune part lĠimportance de lĠoccurrence Ç quartier È (Authier 2007), et dĠautre part, du potentiel transgressif dans lĠacte de payer avec un billet de mille francs dans ce magasin en particulier. Pour transgresser (mme virtuellement) une rgle, cela suppose si ce nĠest lĠexistence, du moins la reprŽsentation dĠun mode de vie normal (dans le sens de Ç normŽ È et Ç normatif È) attachŽ au quartier du Maupas. Ce mode de vie est celui qui se trouve entre la prŽcaritŽ des personnes ˆ faible capital financier (Žtudiant-e-s, retraitŽ-e-s des classes populaires, certain-e-s artistes), et lĠascendance sociale et rŽcente des personnes qui voient leurs diffŽrents capitaux sĠaccro”tre (typiquement les Ç bobos È). La situation du billet de mille francs rŽvle une sorte de malaise causŽ par lĠopulence visible de certains, qui met en contraste et ˆ nu la prŽcaritŽ des autres.

 

Les Ç Žpiceries indiennes È

 

            SituŽes au dŽbut dĠune rue du quartier du Maupas, ˆ lĠavenue de France, des Žchoppes de produits alimentaires exotiques se juxtaposent. En 2009, quatre magasins du mme genre se partageaient moins dĠune centaine de mtres. AujourdĠhui, il en reste deux. AppelŽes par les habitant-e-s du quartier les Ç Žpiceries indiennes È, les gŽrants sont respectivement pakistanais et sri lankais. Sur le mme bout de trottoir se trouvent aussi un restaurant vietnamien et deux snack-bars (un Ç kebab È et un Ç indien È). La vitrine Ç multiculturelle È (Bonard 2010) de ce dŽbut de lĠavenue de France nĠŽcarte pourtant pas les situations observŽes de la logique dĠŽchanges marchands.

SĠil est possible de rencontrer les mmes formes de sociabilitŽ ŽvoquŽes pour Ç le magasin du quartier È, des situations dĠentraide, sans doute de soutien et peut-tre de solidaritŽ liŽes au maniement imparfait du franais de la part des gŽrants et des vendeur-se-s de ces magasins ont pu Žgalement tre observŽes.

Il sĠagit dĠabord dĠune situation o le gŽrant dĠun de ces magasins sĠest retrouvŽ dŽsemparŽ face ˆ un client qui semblait trs sžr de lui et du montant mis en poche ou non. Le gŽrant derrire la caisse enregistreuse transpirait, et sortait et remettait dans sa poche de chemise un billet de deux francs quĠil affirmait tre le sien. Alors que le client ne comprenait pas pourquoi il ne lui rendait pas son billet de deux cents francs. Ma prŽsence active, mais sans intervention de ma part, Žtant donnŽ que je nĠai pas pu assister au dŽbut de lĠŽchange, a sans doute permis ˆ lĠun et ˆ lĠautre soit dĠavoir une tŽmoin, soit de mettre un terme ˆ lĠŽchange sans forcŽment sĠexcuser ni se justifier. La situation se rŽgla donc tant bien que mal. Et quand je vins enfin officiellement ˆ la caisse pour payer mes aliments, jĠeus droit au rŽcit de ce quĠil se serait passŽ selon le point de vue du gŽrant. SĠil mĠŽtait difficile de prendre parti, je restais nŽanmoins ˆ lĠŽcoute des restes de dŽtresse que mon interlocuteur me faisait part.

Une autre situation avait commencŽ dans un cafŽ non loin dĠune de ces Žpiceries. Un homme Ç blanc È discutait avec deux personnes que je compris assez vite quĠils reprŽsentaient les intŽrts du patron du magasin qui faisait lĠobjet de la discussion. LĠhomme Žtait intŽressŽ ˆ reprendre la surface commerciale. Je compris que ceux du magasin ne se sentaient pas prts ˆ entrer en nŽgociation, remettant en doute la crŽdibilitŽ de lĠhomme dĠaffaire. Aprs avoir fini mon verre, je repris la route de chez moi. Celui-ci croise le magasin qui a ŽtŽ discutŽ prŽcŽdemment dans le cafŽ. Je revis le nŽgociant devant lĠŽpicerie. Il Žtait ŽnervŽ et vexŽ dĠavoir ŽtŽ traitŽ de la sorte. Aprs avoir dit ses quatre vŽritŽs, il partit, laissant derrire lui les deux hommes plut™t impassibles tout en faisant sans doute un compte-rendu au gŽrant du magasin.

 

Dans ces deux situations, lĠoccurrence du quartier nĠa pas de rŽpercussion directe. Ce qui se joue se trouve dans les relations bilatŽrales, mais asymŽtriques entre vendeurs et clients, entre gŽrants et nŽgociants immobiliers. Avantages et dŽsavantages ne sont pas systŽmatiquement impartis aux mmes acteurs, cela dŽpend de la relation qui est engagŽe. Dans la vie dĠun quartier et dĠune ville, lĠargent comme moyen de transaction concerne les fois o le systme dĠŽchanges via la monnaie nĠest pas remis en question, comme ont ŽtŽ les situations ŽvoquŽes pour Ç le magasin du quartier È. Par contre, quand une des Žtapes pose problme, comme la reconnaissance mutuelle de ce qui a ŽtŽ dŽjˆ donnŽ et reu en argent et en marchandises dans le cas du billet de deux cents francs, ou la fiabilitŽ dĠun partenaire dĠaffaire dans la dernire situation, lĠargent se montre et dŽvoile les contractant-e-s sous un nouveau jour. Dž au type de relation qui a cours et au dŽroulement des situations de coprŽsence analysŽe, il est possible de constater des traits psychologiques (Simmel 2007) aux consŽquences sociologiques : la cupiditŽ chez Ç lĠhomme blanc È et lĠavarice chez le gŽrant au billet de deux cent francs.

Etre Žconome nĠest pas toujours synonyme dĠavarice. Dans la situation du billet de deux cents francs, ce sont aussi les compŽtences de chacun pour occuper les r™les de prestataire de service et de client-consommateur qui sont ŽbranlŽes. Il est alors utile de recourir ˆ la notion de Ç face È (Goffman 1974) sociale pour mieux comprendre ces mises en scne de soi (Goffman 1973) qui touchent profondŽment lĠtre de chacun-e et dont la mŽtaphore thŽ‰trale ne parvient pas ˆ rendre compte. On dŽcle dans ces deux situations des ŽlŽments dĠentraide plus ou moins marchande. Bien quĠil ne soit pas impossible dans le cas des deux hommes qui reprŽsentaient les intŽrts du gŽrant de lĠŽpicerie, quĠils aient fait a dans le cadre dĠun travail rŽmunŽrŽ, cela nĠempche pas pour autant une certaine solidaritŽ envers leurs semblables et notamment envers celui qui les aurait engagŽs. En ce qui concerne lĠautre situation, lĠŽcoute que jĠai pu faire preuve envers le commerant dŽsaronnŽ par un client sĠapproche dĠune forme de soutien respectueuse envers une personne inconnue. Les Žchanges marchands nĠexcluent donc pas dĠemblŽe la possibilitŽ de se mettre en contact avec autrui dans une dynamique plus conviviale et parfois dŽsintŽressŽe.

 

 

Aider une dame

 

            Je lĠaide parfois ˆ transporter ses courses quand je la croise au magasin du quartier. Cette fois-ci, je la croisai sur le perron de mon immeuble. Elle attendait que quelquĠun pass‰t pour lui tendre un bras et ainsi descendre les trois marches du perron dŽpourvu de main courante. Les contacts que jĠai eu jusquĠˆ lors avec elle nĠŽtaient sans doute pas assez marquants, car elle ne semblait pas me reconna”tre, ce que je nĠavais pas tout de suite saisi. En lĠaidant ˆ descendre les marches, je lui pris le sac sans lui demander en pensant bien faire, car celui-ci semblait franchement lĠencombrer. La surprise a dž tre des deux c™tŽs. Aussit™t mon acte accompli, je compris mon erreur. Elle semblait apeurŽe et reprit de suite son sac en me lĠarrachant des mains. En guise dĠexcuse, jĠessayais de lui raviver la mŽmoire en lui disant que ce nĠŽtait pas notre premire rencontre dans ce quartier. Peut-tre rassurŽe un peu par mes paroles ou dŽcelant en moi des traits qui lui Žtaient connus, elle voulut bien que je lĠaccompagnas jusquĠau restaurant o elle se rendait. Elle sĠappuyait sur moi ˆ chaque pas avancŽ. Je portais son bras qui portait le sac ˆ main.

 

Partant dĠune intention dĠaider, une ligne dĠaction telle qui a ŽtŽ dŽcrite ici peut toujours conna”tre des suspicions, du moment quĠune certaine confiance nĠait ŽtŽ Žtablie. Et quand bien mme, la situation semble tre pacifiŽe, des doutes continuent ˆ planer. Des comportements sont alors mis en Ïuvre, comme le fait de ne pas laisser ˆ autrui de porter son sac ˆ main, pour se prŽmunir dĠun Žventuel revirement de situation, tout en permettant ˆ la personne aidante de poursuivre son activitŽ, et par consŽquent ˆ la personne aidŽe de pouvoir recevoir le secours qui lui est nŽcessaire. LĠalchimie ˆ trouver pour le bon dŽroulement de ce genre de situation rappelle les discussions autour de la notion du Ç care È, qui tentent de distinguer une part relationnelle autour de sa traduction par la Ç sollicitude È envers autrui, et une autre part du Ç care È qui relve davantage dĠune grammaire de la Ç justice È (Breviglieri 2003 ; Paperman 2005). CĠest sans doute un mŽlange dĠŽlŽments provenant des deux approches qui rendent possible une aide spontanŽe, donnŽe et reue. Etre attentif-ve ˆ autrui afin de comprendre lĠappel dĠaide, se rendre disponible en tant que personne qui aide, trouver la bonne distance avec la personne aidŽe ; et, formuler la demande dĠaide, sĠadapter aux dispositifs dĠaide que propose autrui, poser des limites ˆ lĠaide donnŽe ; renvoient ˆ des activitŽs qui permettent de tisser une relation dĠaide qui mle sollicitude et justice aux personnes.

 

 

Echelles : quartier, situations vŽcues et logiques dĠŽchange

 

            En proposant lĠexploration de la vie dĠun quartier ˆ travers lĠŽtude de situations de relation de services marchands et non-marchands, il a ŽtŽ possible de voir, dans un premier temps, des situations dans lesquelles la rŽfŽrence au quartier est un ŽlŽment central pour le dŽroulement des interactions, comme dans les situations ŽvoquŽes dans le cadre du Ç magasin du quartier È. Le situations analysŽes par la suite participent ˆ ce qui peut tre rencontrŽ dans un quartier, mais ce dernier nĠy tient pas un r™le dŽcisif quant au dŽroulement de ce qui a ŽtŽ observŽ, contrairement aux premires situations. Le quartier nĠest par consŽquent pas primordial dans toutes les situations vŽcues en milieu urbain. NŽanmoins, quand il a une rŽpercussion forte sur le dŽroulement des actions, le Ç quartier È joue le r™le de contenant spatial (pour la situation de rencontre entre voisins), de moyen dĠaction pouvant aller jusquĠˆ la transgression de rgles transactionnelles (la femme qui diffre sans paiement parce quĠelle habite ˆ proximitŽ), et de symbole dĠune norme implicite en lien avec un mode de vie dans le quartier du Maupas (pour le billet de mille francs).

Les formes de relation rattachŽes au service marchand sont majoritairement celles qui impersonnalisent, dans le sens quĠelles procurent aux personnes qui se retrouvent dans de telles configurations les possibilitŽs de se contenter uniquement de lĠŽchange de marchandise contre de lĠargent, comme forme dĠinteraction. Or, les aspects de proximitŽ du lieu de rŽsidence vis-ˆ-vis du commerce, lĠhabitude des lieux, et/ou le partage tacite dĠune appartenance au quartier, viennent souvent complexifier les situations effectivement vŽcues. CĠest ainsi quĠelles acquirent leur saveur un peu Ç authentique È de vŽcus dĠun quartier en voie de gentrification – cette Ç authenticitŽ È est par ailleurs un des traits caractŽristiques des quartiers gentrifiŽs (Rose 2006).

Le constat dĠune nŽcessaire distance ˆ mettre en place lors de situations dĠaide prodiguŽe, peut signifier quĠil faut tenir compte dĠune impersonnalisation inhŽrente aux espaces publics urbains. LĠinattention civile (Goffman 1966) et lĠindiffŽrence (Simmel 2004) existent et sont ˆ moduler mme lors de contacts Žtroits tels que lĠentraide entre personnes. Ce qui interroge est la rŽsurgence dĠŽlŽments qui ont trait ˆ des logiques dĠŽchange marchand, telle que lĠimpossibilitŽ de concevoir des actes dŽsintŽressŽs, au cours de situations dĠentraide. Si dĠun c™tŽ les situations de relation de service marchand dans un quartier intgrent des ŽlŽments de Ç valeur dĠusage È dans les services ŽchangŽs, de lĠautre c™tŽ, les situations de relation de service non-marchand sont constamment soumises ˆ la suspicion de comporter quelque Ç valeur dĠŽchange È (Lefebvre 2009) inŽgale, pouvant aller jusquĠˆ la dŽsappropriation de biens dĠautrui. LĠaliŽnation que peut produire un systme dĠŽchanges marchands doit tre pensŽe en lien Žtroit avec le concept de Ç propriŽtŽ È, du fait de sa contamination jusque dans les situations dĠentraide.

 

 

 

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