La problématique du stockage de l’eau à destination de l’irrigation agricole s’est installée dans le débat public à la faveur de mobilisations citoyennes déployées à partir de 2017 sur le pourtour du Marais poitevin, face à la multiplication de projets de réserves de substitution, ou « bassines ». Le passage d’une mobilisation locale à une montée en tension nationale, favorisée par une logique d’affrontement, a en apparence peu servi l’émergence de solutions de compromis et d’innovation en matière de gouvernance autour de la gestion de l’eau, au milieu desquelles les solutions fondées sur la nature pouvaient trouver une place. Pourtant, de tels compromis ont été scellés par des protocoles d’accords signés entre Etat, agriculteurs et ONG, avec l’appui de chercheurs, offrant des situations expérimentales inédites, vite replacées dans l’ombre du conflit et de son traitement médiatique et politique. Cette communication propose de témoigner de l’expérience d’accompagnement du Protocole d’accord signé en Deux-Sèvres en 2018, dans le cadre d’une participation à son comité scientifique et technique entre 2019 et 2022, en tant que paysagiste et enseignant-chercheur. Peu mobilisée dans la phase de conception des projets de stockage d’eau, l’approche par le paysage permet, selon l’hypothèse que nous avons affinée au fil de ce processus, d’envisager des logiques d’action qui dépassent l’échelle de l’objet pour embrasser des territoires élargis. Autrement dit, si l’objet « bassine » semblait stabilisé dans sa conception en raison de l’emprise des savoirs d’ingénierie hydraulique qui en ont l’exclusive paternité, la dimension collective du projet, son inscription dans un bassin versant et les engagements du Protocole nous semblaient pouvoir conduire à un projet d’ampleur inédite appuyé sur une dimension paysagère absente de l’équation de départ, nécessitant des formes d’animation et d’idéation adéquates. Nous proposons un retour sur une expérience d’ateliers de médiation basés sur l’approche paysagère, à savoir une médiation de terrain instrumentée par des formes de lecture du paysage et de projection de transformations spatiales, dans le cadre de l’application du protocole Deux-Sévrien, autour des ouvrages projetés. Pour limités qu’ils soient, les enseignements de ces ateliers nous semblent importants à présenter à la fois à titre de témoignage, en tant qu’alternative au récit désormais ancré des « guerres de l’eau », et comme point de départ pour de nouvelles recherches, dans laquelle un certain nombre d’hypothèses pourront être débattues avec la communauté scientifique qui s’organise autour des enjeux de la gestion de l’eau et de l’application de solutions fondées sur la nature. La première de ces hypothèses concerne la possibilité d’articuler, autour d’ouvrages de stockage d’eau, des stratégies paysagères étendues à l’échelle de sous-bassins versant ou d’impluviums favorisant l’infiltration et la recharge des nappes, hypothèse que nous posons sous la formule des paysages-éponges. La seconde concerne ce processus de recherche en tant que tel, dans lequel se rencontrent et s’hybrident des formes de savoir empruntés aux sciences sociales, mais aussi à l’hydrogéologie, à l’agronomie, à l’architecture du paysage, dont le croisement nous semble pouvoir s’apparenter à une nouvelle forme d’exploration (ces idées nourrissent un projet de recherche actuellement développé sur la Zone atelier Plaine & Val de Sèvre dans le cadre d’un accueil en délégation à l’Inrae). Dans le cadre de cette session consacrée à la territorialisation des SFN, nous reviendrons principalement sur les conditions qui nous semblent devoir être réunies pour servir ce type de projet, conditions qui tiennent à une logique de représentation nouvelle du paysage, à une forme d’apprentissage et d’acculturation collective, à une logique d’imagination. Si ces savoirs et savoir-faire ne sont pas convoqués, ou insuffisamment dans l’animation des grands projets hydrauliques (on peut penser aujourd’hui aux Projets de territoire de gestion de l’eau - PTGE), il nous semble pertinent de montrer qu’ils jalonnent une longue histoire de l’aménagement des milieux humains occidentaux, apportant depuis longtemps des réponses avec lesquelles les récentes et SFN pourraient s’hybrider avec efficacité. Des solutions fondées sur le paysage ?