Claude Martin : Si désarroi il y a chez les professionnels de la famille face aux situations monoparentales, c’est, de mon point de vue, essentiellement du fait d’une contradiction assez forte entre, d’une part, la vision modernisée de la famille que véhiculent ces agents sociaux, eux-mêmes bien souvent personnellement confrontés à la séparation, au divorce, aux recompositions familiales, ce qui les amène à tenir un discours de tolérance sur ces situations, et, d’autre part, les normes et les idées reçues qu’ils continuent de véhiculer sur ces mêmes situations, comme le lien entre rupture familiale et délinquance ou celui entre divorce et échec scolaire, etc. Cette dissonance dans la manière de penser ces situations est source d’inconfort. Inconfort qui se manifeste aussi dans la relation entre professionnels et familles. En effet, les parents dits isolés perçoivent bien souvent les professionnels de la famille et de l’enfance comme les véhicules de ces normes et prescriptions sociales dont ils pensent s’être écartés. La relation entre professionnels et usagers de service, qui s’apparente parfois à de la défiance, est donc troublée par ces représentations mutuelles et il n’est pas rare de ce fait que les mères dites isolées en situation précaire se méfient du diagnostic de ces professionnels : il les confrontera explicitement à la distance qui les sépare de la norme, dans beaucoup de domaines, mais tout particulièrement en matière de rôles parentaux. (Extrait)