La stratégie de modularisation implique " de scinder le produit final en une série de sous-ensembles [...] reliés les uns aux autres par des interfaces standardisées ". Cette stratégie, portée par les modes managériales contemporaines, permet tout à la fois de déléguer auprès de fournisseurs externes l'immobilisation du capital et les risques de conception/production, de bénéficier des différentiels de coûts du travail et de proposer aux marchés des biens personnalisés. Mais cette stratégie est conditionnée à la capacité de découpler le produit, donc à la capacité des producteurs/concepteurs de ces modules à œuvrer indépendamment les uns des autres, à l'intérieur de leurs interfaces. Or l'incertitude du produit, c'est-à-dire la résistance du réel à sa maitrise, et l'interdépendance systémique des éléments du produit ont nécessité la fondation de collectifs. Pour notre terrain d'étude, un bureau d'études d'une entreprise aéronautique responsable d'un produit peu maîtrisé, non modélisable a priori et impliquant le réagencement itératif des parties, nous avons observé comment les ingénieurs ont établi un système social de circulation continue d'informations sur le réel du produit, incorporant la réalité de leur maîtrise, et sur la mémoire de l'acte productif, constitutif du genre social du métier. Ce système prend la forme du réseau décentralisé, en partie clandestin, inscrit dans la pratique productive. Il se constitue dans le mécanisme de l'échange collectif socialisé où le bénéficiaire d'informations doit savoir être un émetteur. Le réseau est un collectif placé sous l'autorité de l'intérêt supérieur du produit. Continuité du réseau et de l'objet technique et décomposition modulaire du produit et de l'espace productif, entrent en contradiction. L'organisation modulaire, instrumentée par les dispositifs de gestion, fait entrer en clandestinité le réseau professionnel, le fragilise. Pris dans cette contradiction, le produit peut-il rester techniquement maîtrisé ?