Le texte porte sur un conflit d'usage autour d'un site soumis à un processus de patrimonialisation : la muraille antique de Théodose II, qui ceint la vieille ville d'Istanbul. La recherche au départ ne portait pas sur le processus de patrimonialisation mais sur des rapports de pouvoir : comment les usages informels du site parviennent-ils à se maintenir sur place depuis l'inscription de la ville en 1985 au patrimoine mondial de l'humanité, et malgré les opérations de déguerpissement et les chantiers de rénovation entrepris depuis par la municipalité ? Mais la question patrimoniale peut être abordée comme une des composantes importantes du problème. Comment les SHS abordent-elles la question ? Une première étape, semble-t-il, consiste à " dé-naturaliser " le patrimoine : ce n'est ni une essence, ni une nature, et il faut le considérer comme une construction sociale - ce que traduit l'usage des termes de processus et de patrimonialisation. La seconde étape serait celle du soupçon : cette construction renvoie à des stratégies (conscientes et inconscientes), à une instrumentalisation, à des processus de domination ou à des luttes pour l'émancipation, d'individus ou de groupes, à des constructions identitaires et plus généralement à des processus sociaux dont les enjeux excèdent souvent les objets apparents de ces processus de patrimonalisation. Du soupçon, certes, on peut en avoir, autour du processus de patrimonialisation hésitant de la muraille d'Istanbul, et on voit apparaître derrière l'enjeu pour la conservation ou l'exploitation du site des stratégies d'acteurs aussi bien que des tensions identitaires, à l'échelle plus globale de la ville ou du pays. Mais ce n'est pas tout. Le maintien des usages informels sur le site révèle une forme d'intelligence implicite de l'aménagement urbain, qui réunit l'ensemble des acteurs concrètement impliqué dans la situation. Ainsi, derrière les alliances de façade (Municipalité - Unesco - expertise versus les usagers de la muraille) s'en constitue une autre, autour d'une convergence implicite d'intérêts à maintenir les usages du site, pour leurs bénéfices en termes de régulations urbaine et sociale (la municipalité et les usagers versus l'Unesco et les experts). La contribution présente le processus de ce retournement, et ses conséquences à venir en termes de patrimonialisation du site.