La dichotomie entre manager et expert, qui seraient dans deux filières de mobilité, est souvent citée en France dans les discours de management avec une forte inspiration anglo-saxonne, mais est rarement mise à l'épreuve de données quantitatives. Elle s'incarne pourtant dans des outils de gestion par les compétences et s'impose progressivement dans tous les types d'organisation. Mais à la suite de Goldner et Ritti [1967], en se fondant sur l'enquête TEQ-Cadres portant sur 6.500 cadres, l'article montre que ce discours camoufle mal la dévalorisation relative des postes de professionnels, dont il faut sortir pour accéder aux postes d'encadrement, puis aux postes de pouvoir de cadres dirigeants, sous peine d'y être enfermé, à la suite d'un repli (volontaire) ou d'une mise au placard (imposée), phénomène qui menace particulièrement les femmes et les cadres âgés. Cette position relativement secondaire des experts ne prend en effet pas le même sens suivant l'âge, le genre et le diplôme, comme l'avait déjà souligné Boltanski au début des années 1980 : postes tremplins pour les jeunes diplômés des écoles d'ingénieur ou de commerce, ils sont aussi des postes de fin de carrière pour des techniciens promus qui doivent se battre pour conserver cette position. Rappeler ce poids des profils sociodémographiques sur les carrières des cadres permet porter un regard critique sur la rhétorique managériale actuelle, fondée sur l'individualisation et la psychologisation des parcours de carrière, qui responsabilise les salariés sur leurs réussites, mais aussi sur leurs échecs. Ce chapitre se fonde sur l'enquête TEQ-Cadres, réalisée par la CFDT-Cadres, en partenariat avec une équipe de chercheurs, qui a donné lieu à l'ouvrage Les cadres au travail, coordonné par Anousheh Karvar (CFDT) et Luc Rouban (CNRS). Suivant la méthodologie des enquêtes TEQ (Travail En Question), les équipes syndicales de la CFDT ont diffusé, de février à juin 2002, plus de 30.000 questionnaires auprès de cadres en activité des secteurs privé et public, travaillant en France, et récolté au final 6.500 questionnaires complets. La démarche, pilotée par la CFDT Cadres, a été réalisée avec 13 fédérations professionnelles CFDT et deux Unions régionales interprofessionnelles Île-de-France et Rhône-Alpes, du fait de la forte concentration géographique des cadres dans ces régions.