L'étude de la production et de la perception de la parole chez les personnes non-voyantes est une problématique suscitant un certain intérêt dans la recherche en phonétique ces dernières années notamment (Cavé et al., 2010 ; Hirsch et al., 2010 ; Moos et al., 2008 ; Menard et al., 2009 ; Sato et al., 2010 par ex.). Parmi les études citées, celle de Ménard et al. (2009) portant, entre autres, sur la structure formantique des voyelles pour des locuteurs non-voyants congénitaux, révèle une centralisation du triangle vocalique chez les sujets déficients visuels, par rapport aux locuteurs sans trouble visuel sévère. Par conséquent, il semblerait que le fait de ne pas avoir eu de modèle visuel durant l'acquisition du langage ait des répercussions sur l'organisation spatiale de la parole. Le premier objectif de cette recherche sera d'apporter des données supplémentaires sur ce sujet. Etant donné que le plan spatial semble montrer des différences entre locuteurs non-voyants et voyants, nous nous poserons la question de savoir si des particularités sont également observables du point de vue de l'organisation temporelle de la parole et de la vitesse d'élocution, particularités qui pourraient être à l'origine d'éventuelles différences spatiales entre les groupes. Nous chercherons en outre à vérifier si des spécificités sont décelables au niveau du timing des gestes de la parole, en utilisant des paramètres comme le VOT (Voice Onset Time ou délai d'établissement du voisement), le VTT (Voice Termination Time ou le délai d'arrêt du voisement) et la durée des éléments consonantique et vocalique... Nous formulons à ce sujet deux hypothèses pour la parole chez les non-voyants : 1. Les particularités éventuellement observées au niveau formantique, c'est-à-dire au niveau de la production des voyelles, pourraient avoir une incidence sur le domaine temporel. Si tel est le cas, les locuteurs de contrôle et les sujets déficients visuels devraient présenter des résultats différents ; 2. L'information auditive est suffisante pour acquérir des patterns articulatoires et acoustiques comparables entre les personnes non-voyantes et les locuteurs de contrôle. Cette seconde hypothèse laisserait penser que les résultats des deux groupes seraient semblables. Méthodologie 5 locuteurs non-voyants congénitaux et 5 locuteurs de contrôle ont été enregistrés en train de prononcer des séquences [CV] où C était soit [p], [t] ou [k] et V, [i], [a] ou [u], insérées dans une phrase porteuse, du type " C'est une [CV]pa ça " . Chaque phrase a été répétée à dix reprises dans la vitesse d'élocution qui paraissait la plus naturelle possible pour chaque locuteur. La structure formantique (F1 et F2) a été mesurée au centre de chaque voyelle [i, a, u] à l'aide du logiciel Praat, avant que l'aire des triangles vocaliques ne soit calculée pour les deux groupes de locuteurs en utilisant la formule de Héron. Parallèlement à cela, le silence acoustique, le VOT, la durée de la voyelle et le VTT ont été quantifiés dans chaque séquence [CVp]. Résultats Au niveau formantique, nous observons que le triangle vocalique est centralisé chez les locuteurs déficients visuels, ce qui rejoint les travaux de Menard et al. (2009), l'aire du triangle vocalique étant plus restreintes pour ce groupe de locuteurs par rapport aux sujets de contrôle (L. non-voyants = 0,013 kHz² vs. Contrôle = 0,018 kHz²). Au niveau temporel, les résultats montrent des différences de timing pour les séquences CVC entre les locuteurs voyants et non-voyants.