Le mouvement "Ni putes Ni soumises" : Ambivalences idéologiques du mouvement, conflictualités individuelles des militantes
Résumé
Le mouvement "Ni putes ni soumises" est marqué par une conflictualité interne importante, qui se décline à deux niveaux. D'une part, au plan politique, sa dénonciation d'un sexisme perçu comme extrêmement localisé renforce des représentations stéréotypées du féminisme et des populations " issues de l'immigration ". D'autre part, sur le plan personnel, ses militantes, qui construisent leur identité dans un contexte familial de mobilité sociale ascendante et valorisant la réussite scolaire, sont partagées entre les idéaux qu'elles se sont forgés et les valeurs de leur " communauté "; le prix à payer est élevé : soit l'ascèse sentimentale et sexuelle, soit la rupture avec la famille. La recherche a compris deux axes : pour l'approche sociologique, nous avons conjugué une exploration ethnographique et une analyse des productions médiatiques du mouvement (couverture journalistique, livres publiés par les militantes), et pour l'approche psychologique, nous avons réalisé des entretiens non-directifs, visant une histoire de vie, avec des militant-e-s, entretiens qui permettaient d'approfondir les apports des écrits autobiographiques que certaines ont publié. On ne peut qu'être frappé par la cohérence entre les résultats des deux approches. Alors que l'articulation de deux ou plusieurs disciplines apparaît souvent, aux yeux des chercheurs et chercheuses, comme source de difficultés à peine surmontables, il s'avère qu'ici psychologie et sociologie s'associent avec bonheur dans la production d'une analyse féconde des relations entre les processus socio-psychiques d'élaborations identitaires et les contextes socio-politiques qui les encadrent. Probablement, les théories féministes et les approches de genre constituent un socle commun solide dans cette recherche où le travail scientifique n'a pas été " divisé "mais " collectivisé ". Utiliser des récits de vie comme matériau principal favorise également l'articulation des " lectures "disciplinaires car la densité et l'extension des entretiens permettent de procéder à différentes manipulations du matériau sans pour autant en épuiser la richesse. En somme, si nos analyses n'ont pas la prétention de fournir un point de vue complet et exhaustif sur les logiques militantes du mouvement Ni putes ni soumises , elles permettent de montrer que les appartenances sociales revendiquées et défendues par les interviewées sont à l'origine de tiraillements individuels qui trouvent un certain écho dans les ambivalences politiques et idéologiques du mouvement.