La fratrie peut apparaître comme le lieu d'une division du travail entre sociologie et psychologie. A la sociologie serait dévolue l'étude d'un "milieu socio-économique", ou "socioculturel", dont on postulerait la continuité et l'identité d'action sur les membres de la fratrie. En revanche, les différences qui s'élaborent à partir de ce terreau commun seraient d'une autre nature : individuelles, donc psychologiques. L'individualisation dans la fratrie ne pourrait à la rigueur être étudiée par la sociologie que lorsqu'elle s'opère à partir de différences de genre (l'étude des socialisations différentielles entre garçons et filles) ou de différences de rang dans la fratrie (les distinctions entre aînés et cadets). La sociologie n'aurait alors rien à dire sur un type de fratrie qui annule nécessairement ces différences : la fratrie gémellaire monosexuée. Les fratries gémellaires apparaissent en effet comme le lieu d'un "toutes choses égales par ailleurs" dans la mesure où elles évacuent d'emblée tous les contenus évidemment sociaux de la différence : l'origine sociale, comme dans la plupart des fratries à faible écart d'âge, mais aussi le sexe et l'âge. L'enquête dont nous présentons ici les résultats a pourtant fait le pari d'examiner les processus de construction de l'identité dans des fratries de jumeaux garçons 1. L'analyse de la littérature psychologique sur la question a permis de retracer le contexte normatif dans lequel évoluent les discours familiaux sur la gémellité, et une enquête par entretiens a été réalisée auprès d'un petit nombre de familles de classes moyennes et supérieures : l'idée était de se situer au niveau des configurations familiales pour travailler au plus près, et jusque dans leurs divergences, les différents discours sur l'éducation dans chaque famille-discours qui sont à la fois rétrospectifs et structurants du point de vue des processus de socialisation. Dans chacune des familles interrogées, quatre entretiens séparés ont été réalisés, avec chacun des deux jumeaux et avec les parents