Senez est situé dans la haute-vallée de l'Asse, en bordure de la route reliant Digne à Grasse. Le village est connu pour avoir été le chef-lieu de la cité antique des Sentii, puis pour avoir abrité jusqu'à la Révolution française le siège d'un évêché attesté dés 506, date à laquelle l'évêque Marcellus est mentionné au concile d'Agde. Le territoire du diocèse, qui absorbe à partir du VIe siècle les évêchés éphémères d'Eturamina (Thorame) et de Salinae (Castellane), s'étend alors sur une large partie des hautes vallées de l'Asse et du Verdon. La cathédrale actuelle, de style roman, a été entièrement reconstruite au cours des XIIe-XIIIe siècles. Le village n'avait jamais fait l'objet d'aucune investigation archéologique et la localisation de la cité antique, comme du groupe épiscopal paléochrétien, demeurent inconnues à ce jour. Le diagnostic archéologique a été prescrit sur demande de la commune, préalablement à des travaux de rénovation des places aux abords de la cathédrale. L'intervention s'est concentrée sur une zone localisée au sud du bâtiment actuel, à l'emplacement du terrain de boule, dont le niveau de circulation est surélevé de plus d'1 m par rapport au parvis de la cathédrale. Deux tranchées perpendiculaires ont été ouvertes pour une superficie d'environ 80 m². Les vestiges archéologiques apparaissent sous une couche de remblais de démolition et de dépôts alluvionnaires récents, dont l'épaisseur est généralement comprise entre 0,50 et 1,50 m. Il s'agit principalement de la partie méridionale d'un vaste bâtiment, localisé dans la moitié nord du sondage, ainsi que d'un ensemble de sépultures disposées au sud de cet édifice. La partie orientale du bâtiment (longueur dans l’oeuvre : 9,75 m minimum) est délimitée au sud par un mur épais d'1 m, reconnu sur une longueur d'environ 10,50 m et respectant une orientation nord-ouest / sud-est légèrement décalée par rapport à celle du gouttereau sud de la cathédrale actuelle. Cette maçonnerie est conservée sur au moins trois assises en élévation, formées par un appareillage régulier de moellons de grès bien équarris et liés au mortier. Au-devant de la façade occidentale de la cathédrale, le mur forme un retour à angle droit qui se prolonge vers le nord-ouest. Côté est, un massif de maçonnerie rectangulaire, régulièrement chaîné au mur et doté de trois ressauts de fondation, se prolonge vers le sud sur une longueur de 2,50 m. La limite orientale du sondage n'a pas permis de déterminer sous quelle forme se poursuivaient ces maçonneries vers l'est. La partie occidentale du bâtiment (longueur dans l’oeuvre : 4,30 m), accolé contre la façade, est délimité au sud et à l'ouest par deux murs perpendiculaires (largeur moyenne : 0,65 m). La stratigraphie, ainsi que les différences de mise en oeuvre avec les maçonneries délimitant la partie orientale, indiquent très clairement deux phases de construction successives, la partie occidentale étant la plus récente. Appuyé contre le mur méridional de cette dernière, une imposante calade de blocs de grès qui se prolonge vers le sud forme un chemin d'accès. Les sondages profonds réalisés au sud du bâtiment ont permis de reconnaître plusieurs niveaux d'inhumation, antérieurs ou postérieurs à la construction du bâtiment. Au moins deux sépultures sont disposées le long du mur sud. L'une d'elles, formée par un coffrage de pierre anthropomorphe, contenait une inhumation en dépôt secondaire, accompagnée par un pégau entier, dont le type peut être rapproché de certains modèles de Notre-Dame-du-Bourg datés entre le XIe et le XIIIe siècle. D'autres sépultures, appartiennent à des phases d'occupation plus anciennes. Il s'agit de simples coffres de lauzes ou de coffrages de dalles, trapézoïdaux ou rectangulaires, couverts par une ou plusieurs dalles de grès. De manière générale, la stratification – principalement formée de remblais mêlés à des dépôts alluvionnaires – est extrêmement importante sur l'ensemble de la zone diagnostiquée, parfois supérieure à 1 m sous les niveaux contemporains, soit plus de 2,50 m sous le niveau de sol actuel. Ni le substrat géologique ni les niveaux stériles n'ont été atteints lors du diagnostic. Étant données la localisation et la nature de ces vestiges, il apparaît probable que le bâtiment mis au jour corresponde à la partie méridionale d'une cathédrale antérieure à l'édifice actuel. Lors de sa reconstruction, cette dernière aurait alors été réduite ou décalée au nord-est de l'édifice précédent. La partie orientale, délimitée au sud par un puissant gouttereau et à l'ouest par un mur de façade, pourrait alors correspondre à une nef et la partie occidentale pourrait s'apparenter à une avant-nef, ou du moins à un porche hors-oeuvre accolé dans une seconde phase de construction. La maçonnerie en saillie observée à l'extrémité est du sondage pourrait être un dispositif d'entrée (porche) ou une extension méridionale de la nef (transept, bâtiment annexe ?). La datation précise de cet édifice reste impossible à établir en l'état actuel de nos connaissances. Un terminus ante quem à la fin du XIIe siècle est toutefois donné par la construction de la cathédrale actuelle, ainsi que par la présence de la tombe à pégau. Ces indices laissent présumer que la construction du bâtiment remonterait au XIe siècle au plus tard, sans pouvoir exclure une date plus ancienne. Cette découverte apporte un éclairage nouveau sur l'histoire de l'évêché de Senez, particulièrement mal documenté par l'archéologie. La présence d'un édifice antérieur à la cathédrale actuelle, ainsi que l'importante séquence funéraire reconnue aux abords de l'édifice indiquent une occupation ancienne du fond de vallée, malgré les contraintes induites par la gestion des cours d'eau torrentiels environnants. Au-delà des problématiques strictement liées à la localisation du groupe épiscopal, à sa topographie et à son évolution architecturale depuis l'Antiquité tardive, l'étude de ce site questionne plus largement sur la genèse, sur l'ampleur et sur la transformation des centres administratifs et religieux de l'ancienne province des Alpes Maritimae, particulièrement isolés et enclavés.