La fouille archéologique préventive de la nécropole du quartier de l'Abadie, sur la commune de SaintÉtienne- les-Orgues, fait suite à un diagnostic réalisé en octobre 2011, après la découverte fortuite de plusieurs sépultures sous bâtière de tegulae lors de terrassements préalables à la construction d'une maison individuelle. L'opération, qui s'est déroulée du 20 février au 20 avril 2012, a porté sur une fenêtre d'environ 400 m² correspondant à l'emprise de la future villa. Les vestiges se répartissent uniformément sur l'ensemble de la zone décapée et apparaissent immédiatement sous des niveaux de recouvrement modernes et contemporains. Aucune structure archéologique particulière (bâtiment, enclos, etc.) n'est associée à la nécropole dans les limites de la surface fouillée. Les recoupements entre sépultures sont rares et l'abandon du site n'a été suivi par aucune phase d'occupation postérieure, à l'exception d'aménagements agricoles récents (drainage, canalisation, plantations). Au total, 70 structures funéraires et 2 fosses de vidange d'ossements ont été dénombrées. Les limites de la nécropole n'ont pas été reconnues, il est donc impossible de connaître l'étendue totale du cimetière et la représentativité de l'échantillon fouillé. Toutes structures confondues, le nombre de sujets est de 105, parmi lesquels 90 étaient individualisables et 15 autres ont été déduits d'un calcul de NMI sur les ossements isolés retrouvés dans les vidanges. L'orientation des tombes mises au jour est assez stricte, respectant un axe ouest-est. Elles sont organisées en rangées nordsud plus ou moins lâches. Tous les sujets retrouvés en place étaient disposés la tête à l'ouest en décubitus dorsal, hormis un adolescent déposé en décubitus latéral gauche. La réouverture et la réutilisation fréquente des sépultures indiquent que leurs emplacements étaient connus et signalés à la surface de la nécropole, mais l'arasement des niveaux supérieurs a entraîné la disparition de ces éléments de marquage. Plusieurs types de contenants funéraires étaient représentés sur le site, installés dans de simples fosses creusées dans le substrat marneux ou les niveaux de colluvions. Les observations taphonomiques, corrélées avec la découverte de nombreuses traces de bois décomposé (négatifs), permettent de déduire que le bois a été utilisé pour 50 inhumations primaires, soit 80% des contenants funéraires identifiables. On peut différencier les contenants utilisant exclusivement le bois, sans qu’il soit possible d’établir s’il s’agit de coffrages ou de cercueil ; les contenants en bois auxquels sont associés des pierres de calages éparses dans la fosse ; les contenants mixtes aménagés à l’aide de pierres et de bois. D’autres contenants funéraires sont représentés, dans de moindres proportions, comme les bâtières de lauzes (4 cas), les bâtières et les coffres de tegulae (3 cas). Seules 3 inhumations en pleine terre ont été dénombrées. Parmi les 72 inhumations primaires fouillées sur le site, 26 ont livré du mobilier funéraire. Il s’agit principalement d’objets métalliques liés à l’habillement et à la parure : boucles de chausses et de ceintures, boucles d’oreille, bagues, épingles à cheveux. Ces objets sont en alliage cuivreux ou alliage cuivre-argent, dans des proportions variables. Typologiquement, il s’agit d’objets caractéristiques de la fin de l’Antiquité et de la période mérovingienne, qui témoignent d’une pratique courante de l’inhumation habillée. Dans cinq inhumations primaires, les défunts étaient accompagnés d’objets déposés dans la tombe, qu’il s’agisse d’objets utilitaires (couteaux, clef) ou de monnaies. Certains de ces objets, nettement plus anciens que les sépultures qu’ils accompagnent (comme une rouelle datée Ier siècle avant / IIe siècle après notre ère), attestent d’une pratique du remploi d’objets anciens, bien connue dans les nécropoles mérovingiennes du nord de la Gaule. Sur près d’un tiers des inhumations primaires, des manipulations osseuses ont été constatées, causées par la réouverture de tombes pour l’installation de nouveaux défunts, plus occasionnellement par des recoupements de sépultures mais aussi par des vidanges. Ces réutilisations n’entraînent pas forcément de dépôts secondaires, certains sujets étant parfois simplement superposés les uns aux autres, mais lorsque c’est le cas, les os présents se limitent aux plus volumineux du squelette et aucune persistance de connexion articulaire n’est observable. Ces dépôts secondaires sont disposés soit dans les fosses des tombes, soit repoussés dans le contenant originel pour les structures pérennes (réductions). Les amas d’ossements sont peu organisés, souvent disposés aléatoirement ou en fagots grossiers en ce qui concerne les os longs. Sur les 105 individus dénombrés, le rapport d'individus homme/femme retrouvé correspond à une répartition naturelle des deux sexes. Tous les âges sont représentés, malgré un fort déficit de jeunes enfants, imputable à la fouille non exhaustive du site ainsi qu’à l’état de conservation des ossements. On ne constate aucune répartition particulière des sépultures dans la nécropole en fonction du sexe ou de l'âge des défunts. Les éléments de datation absolue (20 datations radiocarbone) indiquent une durée d'utilisation assez longue, échelonnée entre la seconde moitié du IIIe siècle de notre ère au plus tôt et la seconde moitié du VIIIe siècle au plus tard, avec une majorité de sépultures datées entre les Ve-VIe siècle. Une analyse plus fine des pics de probabilité permet de resserrer la fourchette chronologique entre la fin du IVe et le milieu du VIIe siècle, soit une durée d’usage minimum de 250 ans. Cette chronologie permet de comparer la nécropole de l'Abadie aux autres cimetières de la même période fouillés dans la région, comme les nécropoles des Clavelles à Lurs, de Saint-Martin à la Brillanne, de la Baisse Sainte-Anne à Valensole ou de la Grande Bastide à Cadarache. À quelques nuances près, qui peuvent concerner les types de contenants funéraires ou de mobilier déposé dans les tombes, ces différents sites présentent des caractéristiques proches. L’absence de fouille exhaustive de cimetière de cette époque dans la région limite cependant les interprétations et les comparaisons. Préalablement à cette découverte, seuls des indices archéologiques épars permettaient de faire remonter l'occupation du territoire de Saint-Étienne-les-Orgues à la période antique, avant la structuration du village actuel au cours du XIIe siècle, autour du noyau formé par l'église paroissiale. La présence de cette nécropole doit sans doute être mise en relation avec la proximité de la route de Cruis, dont le tracé pourrait remonter à l'Antiquité. Il demeure cependant impossible de savoir si le cimetière est installé à proximité d'une zone d'habitat ou d'un lieu de culte, qui seraient alors situés en dehors de l'emprise de la fouille, ou bien s'il s'implante et se développe ex nihilo.