Lors d’une enquête menée par observation et entretiens dans quatre commissariats sur le stress au travail, les policiers des brigades de police-secours et de proximité sont apparus, par rapport à d’autres métiers étudiés à l’occasion d’enquêtes différentes, comme utilisant peu le registre de la plainte de stress, de burn out ou de peur. Souvent, lorsque nous arrivions dans un commissariat, il nous était indiqué que nous n’étions pas au bon endroit pour étudier le stress. Le stress, nous disait-on, « c’est les autres » : les collègues mutés dans des services administratifs (« dans les étages ») de peur de les voir faire une bêtise ou les commissariats plus difficiles. Nous sommes même allés dans un des ces commissariat reconnus localement comme « difficile », mais on nous y a tenu le même discours. Ce qui est valable pour le stress l’a été plus encore pour la peur : le mot peur n’est pratiquement pas utilisé spontanément (mais seulement en réponse à une question directe sur la peur). Quand il l’est, c’est presque toujours de la peur de l’autre qu’il s’agit : peur qu’a eu la victime, peur pour les membres de la famille qui pourraient subir des représailles, peur que l’on a pu imposer au délinquant pour s’imposer soi-même, peur plus rarement d’un collègue dont on se demande s’il est vraiment bien fait pour travailler sur la voie publique, etc. Ces constats et ces observations pourraient donner lieu à une explication un peu simpliste : représentants d’un métier masculin, viril, où le courage et la force physique sont mis en avant, les policiers seraient contraints, pour protéger leur image personnelle, de taire leurs peurs, de nier leurs souffrances. La crainte de passer pour un faible engendrerait un déni qui empêcherait la mise en place de soutien psychologique. Plus subtilement, certains ont vu dans le déni de la peur une forme de stratégie collective de défense.Une analyse précise montre toutefois que les choses sont encore plus complexes. Si effectivement, certaines formes d’expression de la peur semblent être jugées incompatibles avec l’exercice du métier de policier sur la voie publique (mais pas forcément dans les bureaux), toutes les peurs ne sont pas unanimement condamnées et certaines situations favorisent plus ou moins une verbalisation de ses craintes.