Dans le contexte de l’Algérie coloniale, l’expression «passeurs de savoirs» désigne un ensemble éclectique d’intermédiaires entre société locale et coloniale. La redécouverte de participants autochtones à l’élaboration d’un savoir colonial sur la Kabylie redéfinit les contours d’une culture autochtone à partir d’une mise en contact de savoirs qui se superpose à l’héritage d’une culture immémoriale. Prendre la mesure des différents affects associés aux franchissements des barrières de la langue, de la culture, de la religion par ces « passeurs de savoirs », est un moyen d’aller au-delà du miroir des bricolages culturels post coloniaux. Contextualiser l’environnement de chaque passeur permet d’apprécier la nature de son « attachement » dans les situations de transmission du savoir vers la société colonisée comme vers la société colonisatrice où le « contact » s’ancre avec l’autre. De l’école au monde savant à l’art et à l’écriture littéraire, mon propos est de décrire plus précisément certaines stratégies de ces passeurs indigènes placés par le contexte colonial dans la marge entre modèle européen et pratique coloniale : réappropriation, détournement de savoirs ou production de savoirs nouveaux jusqu’à une invention de soi générée par la pratique artistique et littéraire qu’ils leur ont associée.