Il est recommandé à l’anthropologue d’emporter sur son terrain des savoirs pré-requis pour mieux l’appréhender. Mais ne constituent-ils pas aussi un obstacle qui se place entre lui et la société qu’il doit étudier ? En particulier les savoirs orientalistes ont été considérés après les indépendances comme un écran idéologique pour les chercheurs en sciences sociales qui voulaient étudier les sociétés anciennement colonisées. Dans mon cas personnel, essayer de retracer l’histoire de la circulation des savoirs sur la Kabylie à travers archives, livres « orientalistes » et littérature indigène me laissait penser que les savoirs et le terrain lui-même se situaient tout aussi bien hors de Kabylie, dans les bibliothèques et les archives françaises et algéroises. A la recherche de quels savoirs nouveaux suis-je donc allée en Kabylie en 2012 ? Mes rencontres successives avec le terrain kabyle ont été moins des occasions d’aller vérifier, confronter mes savoirs acquis à la réalité que de changer fondamentalement l’approche de « mon » terrain d’études. Une modification s’est produite de l’idée que je me faisais de mon « assignation à résidence » sur un territoire de savoirs délimité d’avance. J’ai dû en particulier mesurer la distance qui me séparait de mon sujet d’observation, entre public et privé, visibilité et intimité, extérieur et local et m’engager dans l’espace public de mes interlocuteurs, que ceux-ci me sollicitent en tant que chercheur ou non. Pour résumer, comment suis-je sortie du placard ? Et, in fine, est-il toujours souhaitable pour le chercheur d’en sortir ?