La perspective des scripts sexuels représente un instrument utile d'analyse des configurations et reconfigurations homosexuelles dans le contexte de la Chine post-maoïste. Les scénarios culturels à l'oeuvre y sont le produit d'une histoire singulière liée au développement spécifique de la scientia sexualis en Chine républicaine (1911-1949), qui s'éloigne de ses cheminements euro-américains, notamment sur le plan de la (non) typification des pervers. La répression administrative des relations homosexuelles et le poids du contrôle étatique des discours en République Populaire de Chine convergent également dans le sens d'un « effacement » des scénarios culturels d'homosexualité. La période qui s'ouvre après la Révolution Culturelle (1966-1976) est en effet marquée par un appauvrissement des scénarios de sexualité culturellement disponibles, au premier rang desquels les scripts homosexuels, qui se traduit par l'importance remarquable du rôle joué par le niveau interpersonnel dans l’organisation des scripts homosexuels. Ce cas d'étude confirme ainsi la pertinence d'un grand nombre des propositions formulées par Gagnon et Simon, et la contribution importante de l'appareil conceptuel qu'ils ont élaboré à l'intelligibilité sociologique de la sexualité comme phénomène socio-culturel. Le constat d'une forte inégalité de distribution des scripts sexuels dans l'espace social considéré plaide toutefois pour une articulation de la perspective des scripts sexuels avec d'autres propositions empirico-conceptuelles de la sociologie à propos de la culture, à l'instar du modèle élaboré sous l'impulsion de Pierre Bourdieu. En analysant ainsi les scripts sexuels à l'intérieur de l'espace plus général des styles de vie, c'est d'ailleurs le projet même de traiter la sexualité comme banale, au cœur de la démarche sociologique de Gagnon et Simon, qui se trouve réactualisé.