Sur la mort de Pérégrinos de Lucien de Samosate est un texte à caractère polémique, une attaque ad hominem (et post mortem) dirigée contre le philosophe cynique Pérégrinos qui s’immola par le feu à la fin des Jeux olympiques de 165. Lucien considérait ce personnage comme un charlatan avide de gloire et il utilise toutes les ressources à sa disposition (invective, ironie, etc.) pour le décrédibiliser. De manière paradoxale, la forme donnée au texte est celle d’une lettre adressée par Lucien à un certain Cronios en qui on a parfois voulu reconnaître un philosophe néo-platonicien du IIe siècle. Or Cronios est présenté comme un ami de Lucien, et quelqu’un qui, de surcroît, partage ses vues. Quel besoin alors d’être si virulent, de mettre au point une « machine de guerre » si violente et démonstrative ? Manifestement, le texte est destiné à un public plus large. Cronios n’est donc qu’un prétexte. Dès lors, il faut s’interroger sur la fonction occupée par ce personnage au sein du texte, et plus généralement sur le choix de la forme épistolaire par Lucien. Nous souhaitons montrer que ce choix relève chez Lucien d’une stratégie narrative : la forme épistolaire est au service de la polémique. La lettre sert de gage à l’authenticité des faits évoqués : elle a une apparence d’objectivité et fait oublier que le point de vue de Lucien sur la vie et la mort de Pérégrinos est biaisé. L’emploi de la forme épistolaire permet également d’établir une relation d’intimité, de confiance et de connivence entre Lucien et son destinataire. Cronios est à la fois un relais de la pensée de l’auteur et un modèle pour le lecteur « réel » du texte : il est le moule dans lequel celui-ci doit se couler. Lucien utilise donc la forme épistolaire et sa dimension affective comme un outil de combat pour mieux faire passer ses attaques à l’encontre de Pérégrinos.