Saisissant l’architecture en train de se faire, et non comme un projet ou comme un objet d’étude, les comptes de construction des édifices sacrés attestent une manière de dire l’architecture qui se singularise par la place capitale qu’y occupent les chiffres. D’une part, ces derniers servaient à évaluer les prix ; d’autre part, ils permettaient de quantifier les réalités architecturales. C’est ce second point qui fait l’objet de cet article : quand, comment et pourquoi les gestionnaires des chantiers estimaient-ils nécessaire de compter l’architecture ? Si le fait apparaît peu dans les inscriptions, il était sans aucun doute une pratique ordinaire, car il fallait se donner les moyens de contrôler le travail des artisans. Les comptes laissent entrevoir deux manières de faire : soit on dénombrait les différentes pièces, soit on mesurait le travail effectué et le matériau fourni. Ainsi, les maîtres d’ouvrage dénombraient les bois, les tuiles, les briques et parfois les blocs dont les dimensions étaient connues par ailleurs, alors qu’ils pesaient les métaux et mesuraient volontiers les pierres et les murs. La manière dont les comptables choisissaient de chiffrer l’architecture s’explique avant tout par la nature des matériaux, par leurs conditions de commercialisation et par les caractéristiques de l’appareil des murs. On peut difficilement compter aujourd’hui l’architecture ruinée à l’aune des chiffres relevés dans ces inscriptions. La confrontation des textes et des vestiges est en effet ardue : les uns et les autres sont lacunaires, les unités de mesure antiques ne sont pas aisément transposables dans notre système métrique et la dimension considérée peut renvoyer à la hauteur, à la largeur comme à la longueur, bien que ce dernier cas semble le plus fréquent. Les comptes sont la trace d’activités financières plus qu’ils ne résultent d’une conception particulière de l’architecture et qu’ils ne constituent des données immédiatement utilisables par les archéologues.