Joindre le geste à la parole. Réflexions sur le baptême des chrétiens cachés du Japon (xvii e-xix e siècle) En 1614, au moment de son interdiction, l'Église aurait compté plus de trois cent mille baptisés au Japon. Dans les décennies qui suivent, le shogunat des Tokugawa rompt ses relations commer-ciales avec les puissances ibériques et les catholiques connaissent la répression ; ceux-ci sont rapidement coupés de leurs prêtres, et le catholicisme disparaît peu à peu de l'espace public 1. L'adoption par le pouvoir de plusieurs mesures visant au contrôle des moeurs religieuses, ainsi que le recours-rare mais souvent spec-taculaire-à la peine de mort, n'ont pas permis d'éradiquer complè-tement l'héritage catholique : dans la partie nord de l'île méridionale de Kyūshū, de nombreuses communautés crypto-chrétiennes, essen-tiellement rurales, parviennent à se maintenir durant toute la période d'interdiction (1614-1873). Certains de ces villages connaissent même un mouvement de «retour» au catholicisme dans la deuxième moitié du xixe siècle, au moment de la réouverture du pays à l’étranger. Depuis l’Âge apostolique, le rituel et la doctrine du baptême, sacrement qui intègre le baptisé à la communauté chrétienne, se sont progressivement étoffés; ce rite a été l’objet à maintes reprises d’âpres débats au sein même du catholicisme ou avec d’autres branches du christianisme, car, jusque très récemment, celui-ci était souvent jugé comme indispensable dans l’optique du salut. S’il est accompli de préférence par un prêtre, en cas de péril imminent, tout laïc doit être capable de s’en charger. Il s’agit donc d’un rite éminemment exotérique même si la grâce qu’il confère aux hommes se fait de manière mystérieuse. Comment ce sacrement, théoriquement ouvert à – et connu de – tous, est-il administré et perçu dans le contexte de clandestinité qu’est celui des chrétiens cachés?