Conclusion p. 150: "Ce que nous avons appelé l’ère du microscope, à savoir le second XVIIe siècle, coïncide avec l’institutionnalisation d’académies scientifiques qui érigent le témoignage oculaire en principal critère épistémologique de validité . Elle coïncide également avec la promotion de la visualisation des rouages internes du corps humain au rang d’explication de son mécanisme, tout comme la forme des rouages d’une horloge permet de comprendre son fonctionnement . On aurait pu s’attendre, pour ces deux raisons historiques, à ce que cette ère du microscope coïncide également avec la multiplication des illustrations dans les dissertations anatomiques. Il n’en est rien. Plusieurs facteurs matériels et épistémologiques se conjuguent pour expliquer la relative pénurie d’images des structures musculaires récemment mises au jour. L’un d’entre eux mérite d’être souligné : de façon peut-être contre-intuitive pour nous, dont la culture est désormais saturée d’images imprimées et numériques, c’est le texte, non l’image, qui assume alors un rôle mimétique par rapport au réel observé. C’est le texte qui a la charge d’exhiber minutieusement le détail visible, la topographie anatomique et ses voies d’accès empiriques. L’image, elle, schématise, universalise, explique ou invente, mais elle ne redouble ni l’observation première de l’anatomiste, ni sa description verbale qui constitue à son tour, via le texte, une véritable source visuelle pour les lecteurs. En bref, ce n’est alors pas l’image qui est naturaliste ; c’est le texte qui l’est. Contrairement à l’image, le texte permet de promener son regard sur différentes strates anatomiques qui se masquent les unes les autres, sous plusieurs points de vue inconciliables, sur plusieurs circonstances incompatibles, sur plusieurs moments interrompus. Il est en cela plus à même de traduire l’expérience autoptique de l’anatomiste."