De nombreuses activités ont déjà été étudiées à travers le prisme analytique du concept aristotélicien de "prudence" ou "sagesse pratique". Mais c'est la première fois qu'un ouvrage collectif paraît, qui est consacré à une seule activité. Ce chapitre se propose de présenter le concept de prudence et d'expliciter les enrichissements réciproques d'une sociologie de la prudence et d'une sociologie du travail social. Le travail social ne jouit pas du même prestige, ni de la même autonomie, que la médecine ou la magistrature, par exemple. Pourtant, les travailleurs sociaux doivent faire face à des situations très complexes, avec souvent de lourdes incertitudes, et de très gros enjeux. Le concept de prudence peut aider à saisir les caractéristiques de ces situations, et à éclairer les dégâts de formes d'organisation du travail et d'injonctions (à la scientificisation, à l'objectivité, à la performance...) qui reposent sur une totale méconnaissance des exigences de la prudence. Aussi le concept de prudence peut-il armer les chercheurs et les praticiens tant analytiquement que politiquement. Symétriquement, les difficultés rencontrées par les travailleurs sociaux pour faire reconnaître la dimension prudentielle de leur activité illustrent bien des difficultés sociétales dans le rapport à l'incertitude et à la complexité : aussi l'étude du travail social peut-elle aider à mettre au jour ces difficultés.