Le Muséum d’Histoire Naturelle de Nantes conserve une petite dizaine de “catalogues” de minéralogie rédigés à la main par François Dubuisson, un chimiste autodidacte qui s’est fait une place dans le milieu savant nantais en recomposition au tournant du XIX^e siècle. Il a notamment contribué à fonder l’établissement et l’a dirigé de 1810 à 1836. Fruits de l’obligation statutaire d’établir une liste des objets entrés au muséum par le directeur (et seul employé), ces catalogues établissent tout d’abord le transfert de propriété vers celle du muséum et donc de la municipalité qui en avait la charge, que l’objet provienne d’une collection privée ou ait été saisi directement dans la nature. Mais au-delà d’être la marque de la possession, une lecture attentive des catalogues révèle non seulement un inventaire des objets et des savoirs acquis, mais permet également d’étudier l’inscription savante d’une pratique de terrain. Alors que dans les premières décennies du XIX^e siècle l’institution muséale était tout sauf une évidence, le catalogue était le témoin légal de l’existence et de la tangibilité des collections. Ils étaient également un témoin de l’extensivité des savoirs disponibles et des blancs qui restaient à combler. La fabrication des catalogues marque l’adaptation de la technique de l’inventaire, à la fois dans le geste de collectionner, mais aussi dans le processus classificatoire visant à organiser les objets récoltés. Traditionnellement, un inventaire des objets d’une collection est dressé lors d’une donation ou d’une vente - ou d’une confiscation. L’étude de ces catalogues posent donc avant tout la question de l’inscription sur le papier comme acte d’appropriation légale. Toutefois, l’ordonnancement des objets n’obéit pas à une classification classique. Les minéraux sont organisés sur le papier selon les visites sur le terrain de Dubuisson, dont la tâche de directeur de musée était doublée de celle d’établir une carte minéralogique du département. La fonction du musée comme bibliothèque d’échantillons minéralogiques a pris forme sur les étagères du muséum alors installé rue Saint-Léonard, mais aussi sur les pages des volumes reliés, arrondissement après arrondissement, au gré des arrêts dans communes et lieux-dits de la Loire-Inférieure. Si l’organisation des catalogues fait écho à un cheminement structuré avant tout par une démarche administrative qui rappelle celle de la statistique départementale et se pense en termes d’inventaire des ressources disponibles, elle permet en outre de comprendre les étapes du travail de collecte sur le terrain et d’ordonnancement des savoirs à l’intérieur des murs du musée. Alors que la collection du muséum de Nantes en était à ses balbutiements, les catalogues de Dubuisson disent le travail d’un individu seul, mais aussi les dynamiques spatiales de la production des savoirs, du terrain qu'il arpente jusqu'à l’entrée dans des lieux mal adaptés, humides et exigus. A l’interface entre le terrain, la collection autre et le muséum, l’apposition de la référence de l’objet signe le passage vers le statut d’objet de collection muséale et met en lumière la gestion de l’accumulation d’échantillons alors que l'impératif de l'accroissement permanent de la collection se pose continuellement.