Quand l’orthographe se trouve au confluent de difficultés : les formes verbales monosyllabiques dans les écrits de collégiens La graphie des verbes est site de problèmes, mais les difficultésne sont pas exactement les mêmes en dictée et en production d’écrit, cette dernière activité ayant pour particularité de mettre le scripteur aux prises avec des contraintes d’ordre linguistique et psycholinguistiques qui peuvent être antagonistes (Plane, Alamargot et Lebrave 2010 ; Bourdin, Cogis et Foulin 2010 ; Allal et al. 1999). Pour comparer leur traitement nous avons constitué un corpus de 240 écrits provenant pour les uns d’élèves scolarisés dans des collèges accueillant une population favorisée ou mixte, pour les autres d’élèves scolarisés en réseau REP+. Ce corpus rassemble d’une part des dictées (N=48) et des rédactions (N=48) prélevées en 6° et d’autre part des dictées (N = 71) et des rédactions (N = 73) prélevées en 3°, la comparaison entre dictées et rédactions pouvant nous informer sur ce qui relève d’une carence de compétence et ce qui relève d’une erreur de performance (Gourdet 2009), tandis que la répartition sur plusieurs niveaux de scolarité nous informe sur l’évolution des performances. L’examen spécifique des formes verbales monosyllabiques fait apparaitre que ces formes étaient particulièrement vulnérables et a conduit à deux constats : - contrairement à nos prévisions, les dictées sont largement affectées par des erreurs portant sur les formes verbales monosyllabiques, alors que nous avions escompté que l’absence d’effort rédactionnel faciliterait la tâche orthographique, et de surcroit, certaines erreurs n’affectent que les dictées - conformément à nos prévisions, le nombre d’erreurs diminue entre la sixième et la troisième. Le fait que les formes verbales monosyllabique fassent l’objet d’erreurs nombreuses est à la fois paradoxal et prévisible. En effet dans la mesure où les formes verbales monosyllabiques proviennent toutes de verbes de haute fréquence (auxiliaires de conjugaison ou temporo-modaux et verbes regroupés par la tradition scolaire dans le « troisième groupe »), les élèves ont de très nombreuses occasions de les rencontrer et de les écrire, et de les figer en tant que « formes-mots », comme le notent Manesse et Cogis (2007). Mais le fait qu’il s’agisse de monosyllabes expose ces formes à l’homonymie. Or, comme le notait Frei (1929/2011), les homophones monosyllabiques constituent un problème particulier, que l’évolution des langues résout à sa manière, et que les scripteurs novices traitent à leur façon. Trois faits significatifs se dégagent des analyses que nous avons opérées : - la substitution entre forme verbale monosyllabique et mot monosyllabique appartenant à une autre classe grammaticale s’opère dans les deux sens ; - les phénomènes d’agglutination entre un pronom proclitique et une forme verbale à initiale vocalique sont observables jusqu’en troisième, alors que les phénomènes d’hyposegmentation, fréquents en sixième, qui transforment une syllabe extraite d’un verbe en une sorte de forme verbale monosyllabique, disparaissent par la suite ; - les formes verbales au passé ont tendance à être surcaractérisées par l’adjonction d’une désinence supplémentaire. Ces constats conduisent à deux conclusions : la conceptualisation de la notion de verbe reste fragile à l’entrée au collège (Eskhol, 2005) et la segmentation de l’écrit continue de faire problème. Mais, à la décharge des élèves, ce sont également des sujets de questionnement pour les linguistes. Allal, L., Rouiller, Y., Saada-Robert, M. et Wegmuller E. (1999). Gestion des connaissances orthographiques en situation de production textuelle. Revue française de pédagogie,126, 53-69 Bourdin, B., Cogis D. et Foulin J.-N. (2010) Influence des traitements graphomoteurs et orthographiques sur la production de textes écrits : perspective pluridisciplinaire. Langages 177, 61-86. Eskhol I. (2005) La construction du concept de « verbe ». In C. Vaguer et D. Leeman (eds) De la langue au texte. Le verbe dans tous ses états (2) Presses Universitaires de Namur, 17-36. Fayol M. & Jaffré J-P. (2008) Orthographier. Puf Fayol, M. et Largy, P. (1992) Une approche fonctionnelle de l'orthographe grammaticale. Langue française, 95, 80-98. Frei, H. (1929/2011) La grammaire des fautes. Presses universitaires de Rennes Gourdet P. (2009) L’enseignement de la grammaire à l’école élémentaire : le cas du verbe en CE2. Thèse de doctorat. Université Paris Ouest Nanterre la Défense. Manesse D. et Cogis D. (2007) Orthographe. À qui la faute ? ESF Plane S, Alamargot D. et Lebrave J.-L. (2010) Temporalité de l’écriture et rôle du texte produit dans l’activité rédactionnelle. Langages, 177, 11-34.