En France, le décret n°82-453 du 28 mai 1982 définit l’organisation et les compétences du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans la fonction publique. Il s’agit d’une modification profonde du cadre préexistant des comités d’hygiène et de sécurité (CHS), tant dans le fonctionnement (fin du paritarisme), que dans les prérogatives de l’instance (extension du champ aux conditions de travail). Mais ce n’est que 30 ans plus tard qu’est publié le décret n° 2012-571 du 24 avril 2012 qui permet leur installation dans les établissements publics d'enseignement supérieur : il s’agissait d’intégrer la spécificité de ces établissements, dont les « usagers » (les étudiants) auraient des représentants dans ces instances, sans pour autant y avoir un droit de vote. Au 1er janvier 2023, les CHSCT de l’enseignement supérieur seront refondus dans le comité social d’administration (CSA) défini par la loi n°2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Si la lecture du décret de 1982 ainsi que de son guide d’application donnent l’impression d’un fonctionnement démocratique au sein de l’instance, peu de travaux permettent de donner un retour des pratiques réelles de cette instance (Bernard Dugué et Catherine Pinatel, 2011). L’objectif de cette communication est de combler ce vide, en s’attachant à démontrer que le fonctionnement des CHSCT dans le supérieur est loin d’être efficace lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre l’agenda de la prévention et de la gestion des risques professionnels, pour différentes raisons, dont nous tenterons d’établir une typologie. Pour ce faire, nous utiliserons la méthodologie de l’autoethnographie, méthode que nous pouvons appliquer du fait de nos formations propres à nos spécialités respectives (ethnolinguistique et linguistique des langues d’Afrique subsaharienne, et anthropologie du genre au Japon), autoethnographie qui, plutôt répandue dans les sciences sociales, suscite également l’intérêt des chercheurs en sciences de la santé (Allan Hegelund, 2005). Pour comprendre l’émergence et les usages des dispositifs institutionnels de prévention de la santé au travail dans les universités, l’autoethnographie apparaît comme la méthode la plus appropriée pour rendre visibles des données encore peu mises en valeur par la recherche. Pour répondre à cette perspective et apporter un matériau ethnographique original, nous nous proposons d’analyser une partie de l’ensemble des documents et échanges à disposition entre la période de janvier 2019 et juin 2022, période pendant laquelle nous avons été secrétaire et cosecrétaire du CHSCT de l’Université d’Orléans, à l’issue des élections professionnelles de décembre 2018. La quantité et la diversité des matériaux à disposition permet de rendre compte de l’ensemble du périmètre des missions du CHSCT. Nous avons ainsi à disposition les matériaux suivants : contenu pour l’ensemble des séances, emails à propos de l’élaboration des ordres du jour, avis rédigés, avec les brouillons des avis en réunion intersyndicale et réunion syndicale, réponses aux avis, comptes-rendus des réunions avec le président, le directeur général des services, l’ingénieur Hygiène sécurité, lettre de diffusion syndicale pour l’analyse des avis, échanges avec des directeurs de laboratoires à propos de la mise à jour annuelle des documents uniques d’évaluation des risques, emails échangés avec l’inspecteur santé et sécurité (ISST), ainsi que l’Inspectrice du travail, comptes-rendus des visites effectuées, ainsi que les commentaires de rédaction entre les représentants syndicaux et les représentants de l’administration, suivi de la tentative de modification d’un règlement intérieur du CHSCT, suivi des procès-verbaux, suivi des consignations, communication (inter)syndicale à propos du CHSCT, et l’ensemble des échanges entre la secrétaire et co-secrétaire, ainsi qu’avec les représentants du CHSCT du même syndicat ou des autres syndicats. Par ailleurs, les échanges que nous menons ne sont pas uniquement centrés sur l’université d’Orléans, puisque nous restons en cheville avec les représentantes FSU pour le CHSCT ministériel, et nous échangeons très régulièrement avec les collègues siégeant au CHSCT d’autres université. Un échange approfondi avec les collègues du CHSCT de l’Université Le Havre dans le cadre d’un projet mené par l’ANACT nous a également permis de comparer les fonctionnements de nos instances respectives. L’examen de ces documents respectera les exigences déontologiques (les consignations ne pouvant pas être rendues publiques telles quelles, ainsi que d’autres documents) auxquelles les membres du CHSCT sont soumis. Nous utiliserons l’ensemble de ces matériaux en insistant notamment sur ce que seule la méthode de l’auto-ethnographie permet de mettre en valeur ici : comprendre le sous-texte qui a mené à l’élaboration d’avis formels ou de toute autre mesure de prévention. Ceci permettra de dévoiler le rapport de force qui se joue ici entre les représentants syndicaux et la gouvernance de l’Université, ainsi qu’entre les différents représentants de ces deux groupes, notamment lorsqu’il s’agit de questions de santé cruciales : l’exposition à l’amiante, la reconnaissance des risques professionnels, l’évaluation des risques psycho-sociaux propres à l’ensemble des corps de métiers au sein de l’Université. A titre d’exemple, la fonction « suivi des modifications » et « commentaire » sous le logiciel Word, permet de suivre l’ensemble des négociations et points de vue qui se superposent, convergent ou s’affrontent lors de la rédaction de documents relatifs aux conditions hygiène et sécurité : on prendra l’exemple d’une succession ininterrompue de tentative pendant plus d’une année qui n’ont pas abouti à la réécriture du règlement intérieur, ou bien les réponses de l’administration à des avis qui sont réédités en l’absence de toute réponse valable. Cette communication tentera ainsi de rendre plus compréhensibles les difficultés concrètes qui s’exercent au sein du fonctionnement d’un CHSCT à l’Université, en prenant appui sur l’exemple récent de l’Université d’Orléans.