Les questionnements sur les rapports entre différences socio-langagières et inégalités sociales et scolaires ont connu un moment clé dans les années 60 – période de massification et d’unification scolaire – emblématisé à une échelle internationale par le vif débat entre le sociologue britannique Basil Bernstein et le sociolinguiste étasunien William Labov. La confrontation entre la théorie des codes langagiers des tout premiers travaux de Basil Bernstein et les analyses de William Labov sur le vernaculaire afro- américain a participé au développement de la réflexion sur les transformations des institutions éducatives en relation avec la question du commun culturel et celle du partage (in)égalitaire des savoirs scolaires. Également en prise avec les discussions sur la compétence linguistique définie par Noam Chomsky, cette confrontation a surtout contribué à accorder une place centrale au langage et à la langue dans la problématique de l’échec scolaire en lien avec les origines sociales ou ethniques des élèves, selon deux perspectives en réalité bien distinctes. Alors que la différence hiérarchisée entre le vernaculaire et le standard est au cœur du questionnement de Labov concernant la surreprésentation de l’échec scolaire d’enfants noirs aux États-Unis au début des années 60, c’est l’énigme des relations entre des modes de socialisation familiale, des usages différenciés du langage et des inégalités dans l’appropriation des savoirs scolaires qui intéresse Bernstein dans le contexte britannique à la même époque. Ces divergences de vue entre le sociolinguiste et le sociologue ont fait l’objet d’interprétations, de (re)traductions et de rigidifications successives qui trouvent des résonnances multiples jusqu’à aujourd’hui au sein de scènes scientifiques (différentes sciences de l’éducation) et non scientifiques (mises au service de la justification de formes d’intervention pédagogique et de politiques éducatives). La mise en opposition de ces thèses a sans doute finalement contribué à polariser, voire à figer, des arguments en présence dans l’espace des approches légitimistes et relativistes. En sociolinguistique française, les critiques énoncées à l’encontre des premiers travaux de Bernstein (sur la méthode, la terminologie, la fétichisation de la langue légitime) ont servi d’arguments pour formuler en contrepoint des problématiques liées à la disqualification linguistique, sociale et cognitive de certaines catégories d’enfants à l’école, notamment ceux issus de milieux populaires, des migrations ou scolarisés dans des territoires ultra-marins. De fait, cette branche des sciences du langage a œuvré de manière particulièrement significative à la construction d’un regard « en positif » sur des répertoires linguistiques le plus souvent envisagés sous l’angle du déficit ou de la déviance au sein de la société française et de son école. Force est de reconnaitre cependant que la discipline a également eu progressivement tendance à délaisser la problématique du rôle, dans la fabrique des inégalités scolaires, de la socialisation et des usages socio-différenciés du langage (potentiellement réalisés dans plusieurs systèmes linguistiques). A partir d’éléments empiriques issus de recherches sur les pratiques langagières dans la voie professionnelle, je souhaiterais dans cette intervention proposer à la discussion quelques pistes susceptibles pour la sociolinguistique de dépasser la « controverse » en (r)ouvrant un dialogue fructueux avec les chercheurs qui mobilisent et renouvèlent depuis des décennies les analyses dites bernsteiniennes.