Le tableau de la France agricole est sombre. Le dernier recensement agricole souligne la perte de 100 000 exploitations en 10 ans, une difficulté de renouvellement des générations et une poursuite de l’agrandissement. Le moral des agriculteurs est en berne, à tel point que Le gouvernement a présenté en novembre 2021 une feuille de route de « prévention du mal-être et d’accompagnement des agriculteurs en difficulté », avec notamment pour objectif d’enrayer les suicides. Dans ce contexte, aborder la question du bien vivre agricole peut apparaitre comme paradoxal, voire provocateur. Pourtant, nos travaux menés à grande échelle dans le cadre d’un programme OHM dans la vallée du haut-Vicdessos nous permettent de proposer un portrait alternatif de l’installation agricole et de l’identité professionnelle des nouveaux installés, qu’ils soient jeunes ou moins jeunes, héritiers, hors cadre familial et/ou non issus du monde agricole. Dans cette vallée où la déprise agro-pastorale est ancienne, certaines communes avaient vu disparaitre leurs derniers agriculteurs avant 1970. Elle connaît aujourd’hui un rythme régulier d’installations, favorisées tant par les évolutions de la politique agricole commune que par une action publique territoriale volontaire, dans un contexte de désindustralisation du territoire et de renforcement de sa vocation touristique. Mais ce renouveau agricole doit avant tout beaucoup aux profils des agriculteurs et à leurs projets de vie, que nous proposons d’analyser à partir du concept de bien vivre (Gudynas, Acosta, 2011, Acosta, 2014). Nous mettrons notamment en évidence l’importance pour ces agriculteurs du rapport au milieu physique, incorporé tant dans les corps et que dans les relations symboliques à l’espace. En croisant ces résultats avec ceux d’autres terrains d’étude, nous montrons comment ces trajectoires d’installation permettent de distinguer une certaine catégorie de rural agricole, construite autour d’espaces à fort degré de naturalité.