Les études de contrepoint, d’harmonie et de fugue de Camille Saint-Saëns, conservées à la Bibliothèque nationale de France, appartiennent à l’ensemble des manuscrits donnés par le compositeur à Charles Malherbe, qui lui-même l’a légué à la Bibliothèque du Conservatoire. Malgré son ampleur et sa richesse, cet ensemble n’a aujourd’hui jamais été étudié. Les précieuses informations sur la formation de Camille Saint-Saëns qui s’y trouvent permettent pourtant d’expliquer plusieurs traits stylistiques du compositeur, notamment la rigueur et la virtuosité d’écriture qui le caractérisent. De la main du jeune Saint-Saëns, de sa grand-tante Clara Masson, de son professeur Pierre Maleden, ou encore de son amie d’enfance Palmyre Granger, ces pages sont révélatrices d’une formation peu conventionnelle, tournée davantage vers le passé et la sphère germanique que vers la France du XIXe siècle. Lacunaire en matière d’harmonie – cet enseignement lui étant dispensé tant bien que mal par sa grand-tante dans un premier temps, la formation de Saint-Saëns consiste principalement en des exercices de contrepoint rigoureux de plus en plus difficiles et en nombre impressionnant. Loin de s’en plaindre, Camille Saint-Saëns semble prendre plaisir à ces réalisations : « Maleden fut son maître, contrapuntiste rigide. L’élève se divertissait parmi les pièges de l’écriture ; il jonglait avec les combinaisons, adorant son art pour lui-même, jusqu’en ses aridités. » Fervent défenseur du contrepoint dans le style de Jean-Sébastien Bach à une époque où les études d’harmonie dominent les cursus de composition, Pierre Maleden est l’auteur de l’ouvrage Du contrepoint et de son enseignement, considérés en eux-mêmes et dans leurs rapports aux études de composition, véritable glorification de cette discipline : « Mon but a été de détruire les doutes, les erreurs, les préjugés qui font nier la nécessité et l’importance des études du contre-point et de la fugue. » L’enseignement que Saint-Saëns a reçu de Fromental Halévy par la suite, au conservatoire de Paris, semble plus lacunaire et impersonnel. En dehors des manuscrits qui en témoignent, Saint-Saëns affirme que le professeur « négligeait beaucoup sa classe, ne s'y rendant que lorsqu'il avait le temps. » Au-delà de cette étude de manuscrits, il est intéressant de constater l’impact de cette formation sur le style de jeunesse de Saint-Saëns : en marge de la société musicale française très centrée sur le lyrisme et le divertissement, le compositeur fait preuve d’ambition et de rigueur technique dans ses premières œuvres, qui fourmillent de fugues et de renversables témoignant d’une pensée très horizontale. Nul doute qu’un regard plus éclairé sur cette formation tournée vers le passé permet aussi de mieux comprendre les premiers échecs de Camille Saint-Saëns en tant que compositeur, sa difficulté à s’inscrire dans son époque et le manque de simplicité mélodique qui lui a été reproché au début de sa carrière.