Au moment d'écrire certains noms de famille, surgit un doute : avec un T ou avec un D ? Dans Les Aventures de Tintin, Dupont et Dupond se différencient par un petit détail dans la moustache. Ces deux détectives ont du caractère, tout comme un autre spécialiste de la police, Claude Garamont, mais avec un T ou avec un D ? L'enquête commence à la Renaissance… Garamont, naissance d'un imprimeur Né vers 1510 à Paris, Claude Garamont est un enfant de la balle. Il appartient par sa naissance au monde des ouvriers imprimeurs et grandit dans le quartier de la Sorbonne, où vivent et travaillent les professionnels du monde du livre. Formé comme apprenti fondeur auprès d’Antoine Augereau, le jeune Garamont grandit et apprend dans un climat d’effervescence culturelle et intellectuelle. La révolution humaniste bat son plein : la graphie, l’orthographe, la mise en page sont au cœur de ces réflexions nouvelles sur la formalisation et la diffusion des idées nouvelles. Pour l’historien Rémi Jimenes, "Garamont vit dans un univers où la culture écrite est encore très largement dominée par l’écriture gothique. Il en existe une grande diversité, utilisée pour l’écriture française. Ce sont des écritures avec des traits épais et noirs, souvent un peu anguleux". L’historien poursuit : "C'est la tradition graphique qui domine dans toute l'Europe, y compris en Italie à la fin du Moyen Âge. Elle tend de plus en plus à être concurrencée par de nouvelles modes d'écriture, venues d'Italie et portées par le mouvement humaniste, notamment l'écriture romaine, inventée au début du XVe siècle et qui est une espèce de réminiscence de la minuscule carolingienne (...). Au moment où Garamont fait son apprentissage dans le royaume de France, le gothique domine encore de manière écrasante la production imprimée, avec peut-être l'exception des ouvrages destinés à un public d'humanistes, donc des textes classiques ou néo-classiques, toujours en langue latine". La typographie et les humanistes Ce bouillonnement intellectuel est soutenu par François Ier, un monarque humaniste, protecteur des arts et des lettres. Soucieux d’encourager le développement d’une littérature en langue française, le roi est particulièrement curieux des innovations typographiques de son temps. Dans les années 1530, les typographes rompent avec la tradition gothique et imaginent des caractères romains, plus élégants, fins et déliés, proches de l’écriture manuscrite. Les caractères de Claude Garamont sont particulièrement réguliers et maîtrisés, et son travail suscite l’intérêt de Jean de Gagny, l’aumônier et conseiller du roi. Sur la recommandation de ce dernier, Garamont devient le graveur de caractères du roi, qui le charge de mettre au point différentes polices grecques. Les années 1540 et 1550 sont celles de la maturité et de la reconnaissance. Garamont, qui se présente désormais comme graveur de caractères et plus comme simple fondeur, mène une vie de bourgeois prospère à l'affaire florissante. Appréciés pour leur élégance, leur équilibre et leur régularité, ses caractères romains, italiques et grecs s'imposent dans les imprimeries de toute l’Europe occidentale. Les créations de Claude Garamont se retrouvent sous les presses des imprimeurs jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Délaissés quelques temps au XIXe siècle au profit d’un style néo-classique plus en vogue, les caractères de Garamont ne tardent pas à être ressuscités, et se sont aujourd’hui imposés comme l’une des polices d’écriture les plus célèbres au monde, que l’on retrouve aussi bien dans les volumes de la Pléiade que dans ceux d’Harry Potter, dans les publicités Apple ou Google.