La spontanéité et l’intensité avec lesquelles les opposants à la réforme des retraites expriment leur mécontentement ont-elles une influence sur la structuration de leurs argumentaires ? Dans tous les témoignages, la perception des enjeux semble indexée à des ressentis personnalisés, comme si le contexte de la réforme libérait la parole sur des sentiments enfouis. À l’analyse de la façon dont ces souffrances sont verbalisées, on constate que les récits opèrent un lien direct assez inédit entre l’intime et le sociétal, entre le bien-être et l’intérêt général. Le mouvement fait ainsi penser aux découvertes de l’anthropologue Pierre Clastres lorsque ce dernier s’intéressait à la façon dont les membres des tribus amazoniennes dites pré-étatiques concevaient le vivre ensemble en rejetant explicitement toute forme organisée coercitive et tout leadership autoritaire. On peut faire le parallèle avec les opposants à la réforme qui la réfutent d’abord au nom de leur dignité et de leur liberté menacées. Sur le plan émotionnel, ces élans de défiance mettent à vif des ressentiment mêlés de déconsidération et de manipulation. C’est le consentement des individus à l’autorité qui est en jeu. La densité et la viralité des critiques méritent qu’on prenne ces indignations au sérieux.