Figurant sur la liste du Patrimoine Oral et Immatériel de l'Humanité depuis 2003, le Chant de Sanaa (al-ghinâ al-san‘ânî), une des principales formes musicales du Yémen, fait actuellement l’objet d’un projet de préservation de l'UNESCO (également soutenu par le Fond Social de Développement du Yémen, et le Ministère de la Culture). Dans ce cadre, je m'interroge sur la manière dont cette intervention affecte la musique elle- même, sa pratique traditionnelle ainsi que sa perception dans la société. La question se pose d’abord de savoir si cette tradition est en évolution ou en décadence : certains instruments disparaissent (en particulier le luth monoxyle qanbûs), mais d’autres se maintiennent ou les remplacent ; le puritanisme social et religieux, qui a longtemps réprimé cette forme de musique y prend une part de responsabilité ; le répertoire continue à être joué, mais les formes les plus difficiles sont en désaffection. L’onction octroyée par la communauté international à cette forme musicale, caractéristique de la capitale du Yémen, pose aussi un problème de régionalisme, car le monopole de cette ville est contesté par des musiciens d’autres cités ayant une histoire différente. Simultanément, le manque de chercheurs locaux ne favorise pas une prise de distance par rapport à ce type de problème. Par ailleurs, ce répertoire n’est pas ou peu pratiqué par les femmes (qui ont d’autres répertoires), ce qui, de nos jours, jette une ombre sur la dimension universelle de cette forme d’expression. Sur le plan de la préservation du point de vue de l’UNESCO, il y a une tension entre une transmission orale qui est en train d’être supplantée par l’auto-apprentissage des jeunes musiciens avec des enregistrements, et une éventuelle organisation moderne de nouvelles formes de transmission. En dépit de ces problèmes, le projet de préservation a collecté une grande quantité de documentation sonore et d’instruments de musique, et il va se conclure par plusieurs publications importantes.