Les mobilités post-covid mesurées avec le BaroMob La crise sanitaire dû à la Covid-19 et les limitations répétées de circulation et d’activité qu’elle a provoquées au niveau local, national et international, ont produit une rupture franche dans les comportements de mobilité de la population. Le contexte post épidémique nécessite de comprendre si, et comment, les individus ont réorganisé leurs schémas d’activité et leur mobilité qui en découle. De ce qu’en disent différentes sources, l’effet de l’épidémie risque d’agir à la fois en structure et en niveau sur la mobilité : - Les transports en commun (TC) « désertés » dans les périodes critiques en raison d’une trop grande promiscuité, de gestes barrières difficiles à tenir même sans limitation de l’offre, auraient été remplacés par des modes actifs ou même la voiture ; quid du covoiturage dans ce même cadre ? L’expérimentation conjoncturelle d’autres modes de transport lors de cette période assez longue a pu finalement installer durablement de nouvelles habitudes, y compris pour des raisons de confort. - Des activités non contraintes hors du domicile se seraient réduites pour éviter les contacts, et donc la mobilité attachée à ces activités diminuerait elle aussi tout en transférant cette nécessité sur d’autres pour certains services (restauration à domicile, livraison de biens de consommation). Là aussi, d’autres habitudes pourraient s’installer durablement que ce soit dans la vie quotidienne (pratique de e-activité ou changement de pratique) ou plus encore sur le plan de la mobilité à longue distance notamment (touristique évidemment, mais aussi professionnelle avec l’expérience des outils numériques développés pendant le confinement). - La pratique du télétravail expérimentée massivement par 10 à 30% des actifs pendant les confinements successifs tendrait à devenir plus fréquente en période « normale » parmi les actifs (mois de 5% avant Covid): si cet effet n’est pas évident sur les niveaux de mobilité de ces personnes in fine, il en modifie au moins la structure générant sans doute plus de déplacements de proximité, mais aussi peut-être de nouveaux déplacements longue distance avec le développement du télétravail en résidence secondaire, et de ce fait des impacts également sur l’utilisation des modes de transport. - Le retour à « la normale » ne se ferait pas immédiatement… s’il se fait. Il pourrait s’étaler sur plusieurs mois, voire années suivant les types d’activité. Enfin, il n’est pas à exclure que certains ménages envisagent également une mobilité résidentielle (quitter les espaces trop denses pour aller vivre « à la campagne »). Il nous semble donc intéressant de suivre les adaptations que vont mettre en place les individus face à cette nouvelle donne, dont certains éléments ne sont pas propres à l’épidémie elle-même (risque sanitaire) mais sont aussi liés à la crise économique par exemple. Afin de mieux appréhender comment les comportements se stabilisent une fois les restrictions de mobilité levée, le Cerema et l’Ademe se sont associés pour construire une enquête BaroMob (Baromètre de la Mobilité) permettant de répondre à ces questions pour le territoire métropolitain français en identifiant quelques-uns des déterminants des pratiques décrites. Une vague a eu lieu en 2022, une autre au moins pourrait être conduite en 2024. La méthode d’enquête choisie fait en sorte de bien prendre en compte tous les types de population, et de représenter tous les types de territoire. Elle met en place une métrique de mobilité « factuelle » comparable à celle utilisée dans l’Enquête nationale Mobilité des Personnes (EMP) ou les enquêtes locales réalisées par les collectivités et le Cerema (Enquêtes de Mobilité Certifiées Cerema, EMC²). En cela, elle donne moins d’importance à la mesure des habitudes tout en permettant aussi d’avoir un regard sur les programmes d’activité à la semaine des individus. Ce dernier élément est novateur pour une enquête de cette dimension, même si de nombreux travaux ont déjà mis en évidence de manière qualitative, voire quantitative, que la variabilité du comportement de mobilité d’un individu entre les jours de semaine est plus importante que la variabilité entre les individus eux-mêmes toutes choses égales par ailleurs. Ce sera l’occasion de venir le vérifier peut-être. Méthodologie du BaroMob L’enquête mise en place se déroule en deux phases. Une première phase d’enquête se déroule au téléphone auprès de 4000 personnes âgées de 16 ans ou plus. Ces personnes décrivent leur ménage, leur pratique de télétravail avant/après la crise sanitaire, leurs habitudes en terme de fréquentation des TC avant/après la crise sanitaire, ou encore la fréquence d’achat sur internet et de livraison de différents types de bien. Elles sont interrogées ensuite sur leur mobilité géographique. Puis ces personnes décrivent l’ensemble de leurs déplacements de la veille, ce qui permet de reconstruire les indicateurs agrégés connus de l’EMP 2019. Parmi ces 4000 personnes, environ 1000 volontaires sont recrutées pour remplir un semainier auto-administré au jour le jour pendant 7 jours minimum sur internet ainsi qu’un petit module sur la longue distance et l’image qu’ils se font des modes de transport. L’échantillon de première phase est sélectionné par génération aléatoire de n° de téléphone et respecte des quotas socio-démographiques et géographique par type d’unité urbaine en isolant l’Ile de France des grandes agglomérations métropolitaines. Cet outil permet donc de faire le point sur la situation au printemps 2022 sur les indicateurs connus de mobilité selon des déterminants comme le télétravail, les pratiques d’achat sur internet mais il permet également d’appréhender des comportements de manière plus riche que les enquêtes existantes comme la multimodalité, et plus largement le programme d’activité sur une semaine. Méthodologiquement, l’enquête en 2 phases permet également d’approcher le biais de sélection éventuel de l’interrogation par internet. Principaux résultats obtenus ou attendus Le Cerema et l’Ademe ont présenté des premiers résultats concernant la « banalisation » de la pratique du télétravail mise en regard de quelques indicateurs habituels de mobilité (JEMU 2022, Cerema). La distance domicile-travail n’est plus un critère discriminant au-dessous de 2 jours de télétravail. En revanche, l’effet « CSP-cadre » est bien mis en évidence pour cette pratique sachant que trois quarts des actifs ne télé travaillent pas. Sur une semaine de 7 jours, le télétravailleur continue de sortir de chez lui presqu’autant que les autres actifs du lundi au vendredi et légèrement plus le week-end. Ces premiers résultats seront approfondis pour mesurer les impacts sur la mobilité et mis en regard des pratiques d’achat et du désir de mobilité géographique. Le semainier a déjà livré quelques résultats sur les comportements multimodaux : du lundi au vendredi, deux tiers des personnes utilisent deux modes mécanisés ou plus dans la semaine contre à peine un quart un jour moyen de semaine. Dans ces pratiques multi modales, la voiture reste très présente malgré tout. Une typologie de programme d’activité sera produite selon les caractéristiques des individus. Il sera possible à cette occasion d’en analyser la relative complexité. Principales références bibliographiques Mobil’homme (2020). « Effets de la crise sanitaire sur la mobilité : Le télétravail dans 7 pays européens », juin 2020 Senat (2021). « 8 questions sur l'avenir du télétravail, vers une révolution du travail à distance ? » Rapport du Sénat d’octobre 2021 (source : http://www.senat.fr/rap/r21-089/r21-0892.html) Dares (2022). « Activité et conditions d’emploi de la main-d’oeuvre pendant la crise sanitaire Covid-19 », Enquête « flash » mensuelle Acemo-Covid, janvier 2022 Chiambaretto P., Bildstein C., Mayenc E., Bennouri M., Grall M., Chappert H., Fernandez A-S (2020). « Transport aérien : l’impact du COVID-19 sur le comportement des Français », Les Carnets de la Chaire Pégase, n°2 ITF (2021), « Travel Transitions: How Transport Planners and Policy Makers Can Respond to Shifting Mobility Trends », ITF Research Reports, OECD Publishing, Paris. Observatoire de la mobilité UTP 2020, https://www.utp.fr/system/files/2022-03/20201117_Observatoire_de_la_mobilite2020.pdf Fabrice Hasiak, Barbara Christian, Sophie Hasiak, Damien Verry. « Les télétravailleurs: des personnes mobiles comme les autres ? ». 4èmes rencontres francophones transport mobilité (RFTM 2022), Juin 2022, Esch-sur-Alzette, Luxembourg. ⟨halshs-03826633⟩ Jimmy Armoogum, Maria Tebar, Barbara Christian, Cédric Garcia, Minh-Hieu Nguyen, et al. « Rapport de synthèse : Méthodologie afin de mesurer la mobilité régionale : élaboration d’une enquête régionale ». [Rapport de recherche] IFSTTAR - Institut Français des Sciences et Technologies des Transports, de l’Aménagement et des Réseaux. 2018, 49p. (hal-01822532)