L’année 2022 a vu la poursuite et l’achèvement de la fouille des sondages S6 et S3, la poursuite de la fouille du sondage S2 et l’ouverture d’un nouveau sondage (S7) le long de la façade du bâtiment 8, interprété comme une cour-écurie. La campagne de fouilles a livré de nombreuses données, qui permettent de préciser le mode de construction et la géométrie de la voie d’Agrippa en contrebas du col de Ceyssat, ainsi que l’organisation de la station routière qui la borde au débouché de la grande cavée. Elle offre aussi la possibilité de préciser le phasage chronologique général de l’ensemble de la zone 4. La voie d’Agrippa Si la campagne de sondages de 2021 avait permis de confirmer les hypothèses relatives au tracé de la voie romaine et à la nature de la cavée, avancées au début des années 2000 (Trément dir. 2003), la poursuite de la fouille des sondages S2, S3 et S6 a donné, en 2022, l’opportunité de caractériser précisément la structure de la chaussée et les étapes de sa mise en place. Le sondage S6 montre que celle-ci est construite en remblai dans ce secteur localisé à 150 m à l’ouest des bâtiments les plus occidentaux de la station routière (ST.6.051). La technique mise en œuvre apparaît assez similaire à celle observée en différents points du tracé de la voie d’Agrippa en Haute-Combraille, à l’ouest de la Sioule. Le radier et la partie supérieure de la couche de forme sont contenus par de gros umbones ancrés dans une tranchée de fondation. Cette même technique avait été observée en 2003 dans le sondage S1, 200 m à l’est (ST.1.004). Dans le sondage S2, 70 m à l’est du précédent, les umbones sont également présents, mais la chaussée est construite ici en tranchée (ST.2.047, ST.2.024). En revanche, aucun umbo n’a été reconnu dans la section de la voie implantée dans la cavée (S3, S4 et S5), où la chaussée était aménagée soit en tranchée (ST.3.014, ST.3.015, ST.3.033, ST.4.019), soit en appui sur un mur de soutènement la bordant sur un côté (ST.5.015). Dans les sondages S1, S2, S3 et S6, deux phases de construction ont été mises en évidence. La plus ancienne peut être datée du début du Ier siècle ap. J.-C., voire de la fin du siècle précédent, ce qui permet d’y reconnaître la fameuse « voie d’Agrippa ». Dès cette époque, la largeur de la bande de roulement est comprise ente 5,80 et 6,50 m (ST.1.005, ST.4.019, ST.6.051). En revanche, elle est inférieure dans S3 et S5, tombant respectivement à 4 m (ST.3.033) et 3,40 m (ST.5.015). Elle n’a pas pu être encore mesurée dans le sondage S2, ce premier état de la chaussée n’étant pas encore dégagé (ST.2.047). Assez rapidement, dans le courant de la première moitié du Ier siècle, la voie est reconstruite. L’objectif est visiblement d’exhausser la bande de roulement, suite à un épisode de forte dynamique hydro-sédimentaire, dont les causes sont à rechercher dans les effets combinés du déboisement occasionné par les grands travaux d’aménagement du col de Ceyssat (implantation de l’agglomération et décaissement de la grande cavée), de la fragilité structurelle, du point de vue lithostratigraphique, du milieu volcanique, et enfin du climat orageux qui prédomine (aujourd’hui tout au moins) dans la chaîne des Puys. Ces indices d’érosion et de ruissellement sont nettement perceptibles dans les sondages S2, S3 et S6 au cours de la première moitié du Ier siècle. Ils se traduisent par l’accumulation de dépôts argilo-sableux entrecoupés de lentilles et de passées de sables grossiers et de gravillons, dont la couleur grise évoque un contexte hydromorphe, et dont l’épaisseur peut dépasser 0,50 m par endroit (S6). Dans le sondage S2, la chaussée ST.2.047 est même définitivement oblitérée par des dépôts à matrice sableuse. Dans le sondage S3, cet épisode de ruissellement s’accompagne du comblement du fossé F.3.065, qui bordait la chaussée au nord, et de l’effondrement du système de soutènement des déblais. La bordure nord de la chaussée et ses abords sont alors recouverts par des dépôts de débordements et par d’énormes bombes volcaniques en basalte, qui n’ont pas été déplacées depuis. Les travaux de reconstruction de la voie s’accompagnent d’aménagements visant à répondre non seulement aux contraintes environnementales, mais aussi, de toute évidence, aux besoins imposés par l’intensification du trafic. En témoignent, notamment, la construction d’au moins deux des bâtiments de la station routière (3 et 8), ainsi que l’élargissement de la cavée, dans le but de faciliter le croisement des véhicules grâce dédoublement de la chaussée. Sur l’ensemble du tronçon étudié, si l’on excepte la partie en cavée, la largeur de la bande de roulement s’établit entre 5,90 m et 6,50 m, soit 20 à 22 pieds romains. Dans le sondage S2, la bande de roulement de la nouvelle chaussée ST.2.024, large de 5,90 m, est élargie de 2,75 m en direction du sud dans le courant du Ier siècle, ce qui la porte à 8,65 m (2.023), vraisemblablement en lien avec l’évolution des besoins de la station routière. Il semble que les abords de la chaussée aient fait également l’objet de soins particuliers. Dans le sondage S6, les apports massifs de sédiments sablo-limoneux sont mis à profit pour aménager une véritable plateforme, qui bordait la voie sur une largeur d’une dizaine de mètres (niveau 2). Dans le sondage S3, le trottoir ST.3.031 est vraisemblablement reconstruit (ST.3.017). Si les modalités de l’aménagement de la grande cavée ont été abondamment documentées par les fouilles réalisées en 2021, la question de sa datation restait largement en suspens. Elle a été en partie éclaircie en 2022. Il est maintenant établi, grâce au sondage S3, qu’une première voie (ST.3.033), large de 4 m au moins, y est implantée dès le début du Ier siècle ap. J.-C. Le versant du Kilian présentant à cet endroit une pente conséquente de 6,5° (11,4%), il a été nécessaire de compenser celle-ci par des apports de remblais soutenus par le système de blocage ST.3.029. Il est probable que, dans ce secteur, la cavée ait été initialement plus étroite que ce qu’on voit d’elle aujourd’hui. En effet, la reconstruction de cette première chaussée s’accompagne non seulement de son exhaussement et de l’élargissement de sa bande de roulement, qui passe de 4 à 8 m (ST.3.015), mais aussi de son dédoublement, ce qui oblige à surcreuser le côté le plus haut du versant, afin d’élargir la cavée vers le sud. Sa largeur atteint désormais 24 m à l’ouverture et 18 m à la base, et sa profondeur 3 m. Les deux chaussées juxtaposées, larges respectivement de 7,95 m (ST.3.015) et 7,75 m (ST.3.014), présentent une emprise totale de 16 m. Ce réaménagement, qui vise à permettre aux chariots de se croiser, ce qui n’était pas possible plus haut dans les lacets trop étroits, n’est pas daté avec certitude, mais il pourrait remonter à la première moitié du Ier siècle. Ces travaux d’envergure ont nécessité le renforcement des flancs de la cavée, au moyen de systèmes de soutènement, consistant en une sorte d’enrochement au nord (M.3.016), et de terrasses étagées soutenues par des murs au sud (F.3.004). La découverte d’un dépôt votif (F.3.006) daté du Haut-Empire sous l’énorme bombe volcanique M.3.016 prouve que celle-ci a été délibérément déplacée pour servir d’ancrage aux déblais d’excavation. Très meubles, et donc très sensibles à l’érosion, ceux-ci devaient être contenus par un muret, dont les vestiges du premier état sont peut-être visibles dans le niveau d’effondrement évoqué plus haut. Les sondages S1, S2, S3 et S6 corroborent donc l’hypothèse, formulée en 2003 (Trément dir. 2003), selon laquelle la voie aménagée aux environs du changement d’ère aurait fait l’objet, assez rapidement, d’une reconstruction. Celle-ci doit-elle être mise en rapport avec le bornage claudien de la voie d’Agrippa (Trément dir. 2021a : 70-71) ? Ou s’agit-il d’une situation purement locale, liée à l’intensification du trafic et au développement de l’agglomération, ce dont témoignerait l’élargissement de la cavée ? À moins que les problèmes environnementaux n’aient eux aussi joué un rôle, dans un contexte de crise érosive ? Sur l’ensemble du tronçon exploré, long de 650 m, les matériaux employés dans la construction de la voie sont exclusivement locaux, issus des coulées trachytiques et des projections basaltiques du Kilian, qui recouvrent tout le secteur, les premières étant profondément entaillées par les travaux de décaissement de la cavée, qui ont pu fournir des quantités considérables de sable, de gravier et de blocs. L’état d’avancement inégal des sondages et, surtout, les conditions de conservation hétérogènes des niveaux superficiels de la chaussée, ont pu donner l’impression d’une certaine variabilité des modes constructifs et des matériaux associés (Trément dir. 2021a). En réalité, il faut relativiser ce constat. Si l’on fait exception des techniques de soutènement spécifiques à la cavée, on retrouve généralement la combinaison d’une couche de forme basale constituée d’un remblai de trachyte vraisemblablement compacté, épais d’une trentaine de centimètres, et, par dessus, d’un radier de blocs de basalte servant d’appui à la bande de roulement. Si ce radier présente le plus souvent un profil bombé, en revanche, la taille des blocs qui le composent est variable, comprise entre 0,15 et 0,20 m dans le sondage S2, entre 0,03 et 0,10 dans les sondages S3, S5 et S6. Dans les sondages S1 et S4, ce radier n’était pas conservé. Dans les sondages S3 et S6, les blocs de radier ont été de toute évidence soigneusement calibrés et présentent un aspect roulé, qui les apparente à des galets. L’origine de ce matériau, principalement basaltique, n’est pas clairement identifiée. Il pourrait s’agir de petites bombes volcaniques dont la provenance exacte, même si elle est assurément locale, pose question. L’évolution de la voie est assez bien appréhendée pendant toute la période de fonctionnement de la station routière, dont les activités alimentent les niveaux archéologiques en artefacts, à la faveur de fortes dynamiques sédimentaires. De fait, dans le courant du IIe siècle ou au début du suivant, une nouvelle phase de désordres hydrologiques est perceptible dans les sondages S1, S6 et S7, où l’accrétion sédimentaire peut atteindre, voire dépasser, 0,50 m (S1, S6). Elle est suivie par des travaux de réaménagement de la chaussée, qui fait l’objet de recharges ayant pour conséquence de la rehausser, d’en élargir la bande de roulement (1.075, 1.078, 2.009) et de la déplacer, soit vers le sud (1.075, 1.078), soit vers le nord (2.009). Dans la cavée, les sondages S4 et S5 témoignent d’aménagements visant à renforcer la stabilité de ses flancs (murs de soutènement M.4.007, M.4.015, M.5.016) et à se prémunir contre les chutes de pierre (fossé technique F.5.012). Les bas-côtés font également l’objet de réaménagements, qui permettent de s’adapter aux modifications de la topographie provoquées par les apports massifs de sédiments. Ainsi le bas-côté qui borde la chaussée dans le sondage S6 est-il surélevé d’une vingtaine de centimètres (niveau 3). Dans le sondage S1, le gain excède 0,50 m entre la chaussée et le bâtiment 3. Suit une période mal calée chronologiquement, mais postérieure au IIIe siècle et à l’abandon définitif de la station routière, au cours de laquelle des épisodes de ruissellement intense et de colluvionnement oblitèrent littéralement la chaussée par endroit (S1, S2). Au niveau du sondage S6, la bande de roulement ST.6.051 est très dégradée et les umbones ont tendance à se déchausser sous l’effet du ravinement consécutif au manque d’entretien et à l’intensification de l’érosion. À la hauteur du sondage S1, la circulation s’effectue désormais sur une chaussée dont la largeur est réduite à 5 m (ST.1.018). La circulation dans la cavée est considérablement limitée, après l’effondrement des murs de soutènement (F.3.004, M.4.007, M.4.015, M.5.016). Seul un chemin y est maintenu (ST.4.019 puis ST.4.013 et ST.4.005, ST.5.010), tandis que l’essentiel du trafic contourne par le nord le gros bourrelet de déblais d’excavation, au Moyen Âge ou à l’époque Moderne. Peut-être faut-il mettre en rapport ce nouveau tracé avec la construction, non datée, d’une nouvelle chaussée (ST.2.003), large de 5,75 m, dans le sondage S2, à une époque où la station routière antique était depuis longtemps en ruine ? Cet itinéraire correspond vraisemblablement à l’« ancienne route d’Aubusson et Limoges à Clermont » de la carte de Cassini, et au « chemin de Clermont à Herment, Ceyssat et Allagnat » (ancien cadastre d’Orcines, section F, 2e feuille) ou « chemin de Ceyssat et Herment à Clermont » (idem, section F, 3e feuille) (Trément dir. 2021a : 36). Connue sous le nom de « Vieux Chemin » au début du XIXe siècle, cette route ancienne est désignée dès 1260 comme une Via publica dans les titres des archives du chapitre de la cathédrale de Clermont : « Juxta viam publicam qua itur Filleti ad clarum montem » (Pasumot 1810 : 379). La station routière En ce qui concerne la station routière, les hypothèses avancées en 2020 et 2021 (Trément dir. 2020a ; 2021a) ont été corroborées par la fouille du sondage S7, ouvert perpendiculairement au transect S2 dans le but de dégager la moitié de la façade du bâtiment 8. La découverte d’un fer à mulet et, surtout, d’une auge-abreuvoir, conforte l’idée que ce bâtiment était une cour-écurie. Cette dernière hypothèse reposait initialement sur l’examen du plan de cet édifice, visible sur les images LiDAR et sur le terrain sous la forme d’anomalies topographiques très nettes, suggérant un enclos délimité par des murs mais dépourvu, en tout ou partie, de toiture. En 2021, l’analyse biomoléculaire de deux échantillons prélevés à l’intérieur, dans un niveau organique noir, interprété comme du fumier, et dans le sol sous-jacent, avait révélé la présence d’équidés (Trément dir. 2021a : 87-88 et annexe 6). L’incertitude demeurait en revanche sur le système d’ouverture de ce bâtiment du côté de la voie. Les images LiDAR ne laissant voir aucun mur de façade, on pouvait imaginer un édifice largement ouvert. Or ce n’est pas le cas. Si le sondage S2, implanté en 2021 exactement dans l’axe de son entrée, laissait planer le doute, le sondage S7 ouvert en 2022 permet de constater que l’entrée du bâtiment était moins large qu’on pouvait l’imaginer, tout au moins dans son dernier état, puisque la façade a fait l’objet d’une réfection partielle à ce niveau entre le milieu du IIe siècle et le début du IIIe. Si l’entrée était parfaitement centrée, au milieu de la façade, on peut alors estimer sa largeur à 1 m environ. Par ailleurs, le sondage S7 révèle que le bâtiment présentait une construction soignée, en petit appareil de trachyte polygonal et tronconique régulier, avec chaînage d’angle en pierre de taille (M.7.004). Les sondages S2 et S7 ont livré de précieuses informations sur la chronologie de l’occupation de ce secteur. En l’état des dégagements, le premier niveau d’occupation (SL.2.048/SL.7.027), contemporain de la construction de la voie ST.2.047, remonte au début du Ier siècle ap. J.-C. Le bâtiment 8 est édifié après un premier épisode de ruissellement, évoqué plus haut, dans le courant de la première moitié du Ier siècle, au moment où la voie est elle-même reconstruite (ST.2.024). Au cours du IIe siècle, qui est marqué par de nouveaux épisodes de forte activité hydrosédimentaire, le bâtiment fait l’objet de spoliations, suivies, à la charnière des IIe et IIIe siècles, des travaux de réfection mentionnés plus haut, qui concernent son entrée. À cette occasion, un nouveau bâtiment lui est accolé à l’est (bâtiment 10), à moins qu’il ne s’agisse d’une extension. Construit selon une technique différente, avec un parement moins soigné, cet édifice, qui s’appuie sur le précédent, était, contrairement à lui, couvert de tuiles. Ces réaménagements s’accompagnent d’un exhaussement significatif du niveau du sol (SL.7.007) assurant la connexion entre les bâtiments et la chaussée. Après un nouveau cycle de forte activité hydrologique, qui est à l’origine d’une concentration des écoulements provoquant des ravinements entre la voie et l’alignement des façades, les deux bâtiments s’effondrent, dans le courant de la première moitié du IIIe siècle. L’auge-abreuvoir exhumée dans les décombres avait probablement fait l’objet d’une vaine tentative de récupération, comme en témoigne le fait qu’elle s’est brisée sur place après avoir été déplacée, vraisemblablement de quelques mètres (une tête de pied de biche a été mise au jour à proximité). En l’état des recherches, la station routière est totalement abandonnée dans le courant de la première moitié du IIIe siècle. Le sondage S7 confirme les limites des images LiDAR dans ce secteur à la pente plus marquée, et donc plus soumis au colluvionnement, que la partie occidentale de la station routière. On en voudra pour preuve la découverte, inattendue, du mur de façade (M.7.005) d’un édifice insoupçonné : le bâtiment 10. Dès lors, il n’est pas interdit de penser que la station routière pouvait se prolonger en direction de l’est, peut-être jusqu’à l’entrée de la cavée, située à une centaine de mètres. Le relevé topographique des deux murs de façade (M.7.004 et M.7.005) révèle un léger décalage, d’environ 5°, par rapport à l’axe de la voie et à l’alignement général des façades des autres bâtiments. Deux hypothèses peuvent être formulées à ce propos : – soit les murs de façade des différents bâtiments n’étaient pas parfaitement alignés, bien que ceux-ci fussent mitoyens ; – soit la façade des bâtiments 8 et 10 marque une légère inflexion vers le sud, pour s’aligner sur l’entrée de la cavée. Les prospections géophysiques prévues en 2023 devraient permettre de préciser l’extension et l’orientation du bâti dans ce secteur. Quant aux prospections électriques réalisées en 2022, elles ont confirmé la présence d’une importante structure quadrangulaire à une vingtaine de mètres au sud de la voie, en regard des bâtiments 8 et 10, dont elle est distante d’une trentaine de mètres. Orientée ouest-est, parallèlement à voie, elle s’étend sur 30 à 35 m de longueur et 12 à 15 m de largeur. Sa superficie, comprise entre 360 à 525 m2, en fait potentiellement l’un des plus vastes édifices de la station routière, avec le bâtiment 8 interprété comme une cour-écurie.