Bien qu’encore marginalisés et stigmatisés, les habitats mobiles démontables attirent de plus en plus de personnes, qui aspirent à des modes de vie plus écologiques, plus économiques et/ou plus autonomes ou encore qui revendiquent une liberté de choix d’habiter (Jeanjean et Sénépart, 2011 ; Mésini 2011). Si la demande sociale existe et si ce mode d’habitat est dorénavant reconnu par la Loi ALUR de 2014 (Bioteau et Prugneau, 2014), les habitants, les porteurs de projets ainsi que les élus volontaires rencontrent en pratique de nombreuses difficultés pour concrétiser leur accueil dans les territoires. Bien plus qu’un mode d’habiter, les habitats légers symbolisent et incarnent des controverses et des contradictions entre aspirations différentes de la société, quant à la manière dont elle peut faire face aux crises globales, écologiques, économiques, sociales, démocratiques. Ces controverses s’expriment dans de multiples registres : au regard des droits de chacun (propriété du bien meuble, possession ou usufruit de l’immeuble, liberté de mode d’habitat…), des valeurs auxquelles on tient, des modèles de développement auxquels on croit (croissance « verte », sobriété), ou encore de la manière dont il convient de décider collectivement et publiquement à ce sujet. Nous proposons d’explorer très concrètement l’émergence, la nature, le contenu, les effets et la portée de telles controverses autour de l’habitat mobile et démontable, à partir du récit détaillé d’un cas empirique : celui de la commune de Saillans entre 2014 et 2020. Cette commune rurale de la Drôme de 1300 habitants a la particularité d’avoir ouvert un débat public large, autour de l’opportunité ou non d’accueillir des résidences démontables sur son territoire dans le cadre de la révision de son Plan Local d’Urbanisme. Elle présente également une autre originalité : le document d’urbanisme a été révisé en associant de façon ample et intensive la population, dans le cadre plus général de la gouvernance participative de la commune (Girard, 2022). Plus précisément, le pouvoir de décision a été confié à un mini-public délibératif (Courant et Sintomer, 2019), composé, d’un quart d’élu et de ¾ d’habitants tirés au sort qui se sont réunis plus de trente fois. La notion de participation est entendue « comme l’implication d’acteurs privés, citoyens, associations, entreprises dans la prise de décision territoriale » (Drozdz, 2016). Cette expérience participative a été doublement documenté dans la durée, l’une des auteurs étant élue, l’autre engagée sur le plan national avec le maire Vincent Beillard à la défense de l’habitat léger (2013-2018) , puis conseillant le bureau d’étude lors de l’expérience étudiée : suivi exhaustif de la participation, observation participante : enregistrement des séances, questionnaire d’autoévaluation, entretiens semi-directifs de parties prenantes. La pratique participative qui était au « fondement d’une prise de position conflictuelle » afin d’afficher les oppositions dans les arènes de débat (Drozdz, 2016 : 31 et 30) a eu des effets politiques délétères : la mise à l’agenda et le traitement du sujet des résidences démontables a provoqué un fort clivage au sein de la population, a conduit à leur interdiction de fait dans le nouveau PLU et a participé de la défaite de l’équipe en place lors des élections municipales de 2020. À partir de l’analyse des motivations des élus et des argumentaires mobilisés par les opposants, nous mettrons également en lumière ce que ce cas révèle des contradictions de la planification urbaine/villageoise actuelle à 3 niveaux : (1) sur des conceptions divergentes et irréconciliables de ce que peut-être « le village durable » et le « droit au village » ; (2) sur les tensions entre aspirations participatives (à plus de démocratie) et ambitions de transformation écologique (des pratiques et politiques) ; (3) entre les tentatives d’expérimentations radicales et les puissantes injonctions normatives du champ de l’urbanisme. Pour finir, nous reconsidèrerons dans une visée prospective, ces alternatives habitantes dans des objectifs d’urbanisme soutenable, d’utilisation durable des ressources locales, de transition écologique et climatique, ou encore de zéro artificialisation nette.