C’est à une articulation inattendue entre savoir de membres et connaissance sociologique que cette communication s’intéresse, sur la base d’une enquête ethnographique consacrée aux pratiques professionnelles de care dans des institutions socio-sanitaires spécialisées en neuro-psychiatrie. Parce qu’elles provoquent des ravages interactionnels, les démences présentent un intérêt théorique évident. Pour les professionnel-les, c’est un problème pratique immédiat qui se pose. En effet, les démences rendent inopérantes les connaissances de sens commun qui se tiennent d’ordinaire à l’arrière-plan des situations et rendent possible le moindre geste de soin. Dans ces circonstances, les pratiques professionnelles, a priori des plus banales et routinières, sont réalisées sous l’égide de savoirs experts. Minutieusement élaborés dans le quotidien des relations avec les résident-es, ces savoirs experts sont aussi expérientiels, dans le sens où, pour savoir comment agir, il faut savoir faire l’expérience de la démence et être disposé, avant tout chose, à pâtir. En effet, les professionnel-les qui se refuseraient à endurer une série d’épreuves et à enquêter resteraient au seuil de la relation, et ne sauraient bien prendre soin. Pour les sociologues qui entendent observer et documenter ces pratiques de care, il importe alors de s’y rapporter en tant qu’elles sont aussi des instructions sur la façon dont quiconque devrait se conduire pour interagir dans des situations en prise avec la démence.