Éduquer son fils pour en faire un « véritable » fils est une préoccupation majeure de la religion de l'Inde ancienne, le brahmanisme. En effet, avoir un fils solde la dette envers les ancêtres. Une fois éduqué, ce fils élève son père au statut de pitṛ. Ce pouvoir salvateur du fils a suscité de nombreuses réflexions au sein des courants religieux parallèles qui l'ont remis en question. De la même manière qu'il existe une tension entre le Śiva ascétique et le Śiva érotique, mise en lumière par W. Doniger O'Flaherty, 1993, de même deux voies de salut opposées sont en tension : l'une requiert la naissance du fils, la seconde n'en a cure. Pourtant, toutes deux exigent un enseignement. Un récit mythologique étiologique illustre parfaitement cette tension et tente de la résoudre : il narre comment les premiers pères furent éduqués par leurs propres fils. Ainsi éduqués ces pères devinrent les fils de leurs fils. Par l'inversion de statuts, deux voies de salut différentes sont encensées. Après avoir décrit comment et pourquoi une fonction salvatrice est attribuée en Inde ancienne au fils, j'analyserai successivement le mythe d'inversion des pères et des fils que l'on trouve dans deux oeuvres d'obédience opposée : le Pitṛkalpa du Harivaṁśa (HV) et le Skandapurāṇa (SP). Je montrerai notamment comment les références intertextuelles et intra textuelles modifient la finalité et le message du récit.