Depuis le XIXe siècle, des érudits ont proposé des étymologies albanaises aux noms des principales divinités de la Grèce antique ainsi que des héros de la mythologie grecque, faisant par exemple d’Aphrodite une déesse de l’aube, puisque son nom s’explique par l’albanais afër ditës, « proche du jour ». La plupart de ces étymologies ont été popularisées pendant tout le XXe siècle à l’appui du nationalisme albanais et de son affirmation de la très grande ancienneté de la nation albanaise. Elles connaissent un regain d’intérêt depuis la fin du XXe siècle dans le cadre du renouveau du « pélasgisme », une idéologie qui affirme l’existence historique des Pélasges et une continuité raciale, linguistique et culturelle entre les Pélasges préhistoriques et les Albanais modernes. Les ouvrages pélasgistes, qui connaissent un succès certain en Albanie depuis les années 1990, font un grand usage des jeux de mots sur les noms de divinités grecques qui postulent et renforcent une identité entre la langue des Pélasges et celle des Albanais. La question posée ici est de savoir si les divinités grecques n’existent que par les étymologies populaires que leurs noms autorisent, ou si l’argument linguistique sert aussi à construire une religion pélasgique avec des divinités dont le nom n’est pas le seul attribut. L’hypothèse de départ est celle d’une tension entre la reconstitution d’un panthéon pélasgique originel, sous la forme d’une captation du panthéon grec (qui devient, de ce fait, une création pélasgique transmise aux Grecs), d’une part, et l’affirmation d’une religion pélasgique naturaliste, sans dieux, se manifestant dans des lieux naturels et exprimant une morale primitive et universelle, de l’autre. Nous chercherons à cerner les figures des divinités grecques dans ce contexte et à caractériser le rôle qu’elles sont amenées à jouer dans l’affirmation du pélasgisme. Cette communication s’appuie sur l’examen de l’abondante littérature pélasgiste contemporaine ainsi que sur des entretiens réalisés avec des auteurs et partisans du pélasgisme.