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Chapitre d'ouvrage La Caisse des dépôts et consignations, la Seconde Guerre mondiale et le XXe siècle. Année : 2003

Une aryanisation paradoxale : les commerces d'alimentation dans le Marais

Jean Laloum
  • Fonction : Auteur
  • PersonId : 831231

Résumé

Durant l'Occupation, les mesures d'aryanisation constituèrent l'un des axes centraux de la politique antijuive menée par Vichy et les Allemands. Aux lois et ordonnances visant à l'élimination de l'influence juive dans l'économie nationale, l'ordonnance allemande du 26 avril 1941 soulignait tout à la fois les activités économiques prohibées aux juifs – touchant en premier lieu le commerce de gros et de détail –, et stipulait l'interdiction qui leur était désormais faite de tout contact avec le public.
Alors que la mesure allait entraîner la fermeture de très nombreuses boutiques, certains commerces d'alimentation allaient, de façon paradoxale, pouvoir bénéficier, dans le cadre même de la procédure d'aryanisation mise en œuvre par les commissaires gérants, de l'autorisation à demeurer provisoirement ouverts.
Deux catégories de boutiques d'alimentation étaient concernées par cette mesure de tolérance qui restait soumise à la condition expresse de ne servir qu'une clientèle exclusivement juive :
– les boutiques dites “rituéliques”, autrement dit celles délivrant aux Juifs pratiquants des produits conformes aux prescriptions d'ordre rituel et religieux ;
– les boutiques “de ghetto” implantées au centre d'importantes agglomérations juives, situées en premier lieu dans les quartiers St Gervais et St Paul dans le IVe arrondissement et destinées aux Juifs non attachés à la stricte pratique cultuelle.
C'est précisément sur le quartier juif du Marais, au cœur du Pletzl, constitué par la rue des Rosiers et des rues avoisinantes, que porte l'étude.
Les raisons invoquées par Vichy et les Allemands au maintien de l'activité de ces fonds de commerces par leurs propriétaires juifs, obéissaient autant à des motifs :
– d'ordre idéologique (canaliser ainsi les Juifs vers ces boutiques qui leur seraient réservées limiterait d'autant les contacts avec les aryens),
– économique (éviter la perte de denrées périssables),
– de caractère social (continuer à assurer l'approvisionnement de ces importants noyaux de populations juives)
– que cultuel (répondre aux sollicitations du Consistoire israélite de Paris de laisser subsister à Paris un certain nombre d'entreprises, dites rituéliques, dans le but de permettre aux Juifs de continuer d'exercer leur religion).
Vichy souhaitait faire préférentiellement bénéficier de cette tolérance d'ouverture momentanée, les Juifs français, si possible anciens combattants, aux Juifs étrangers. Ainsi, à partir de listes présentées par l'Association consistoriale israélite de Paris (ACIP), de recommandations formulées par le Comité de coordination des œuvres de bienfaisance israélites puis par l'Union générale des israélites de France (UGIF), d'avis adressés par les administrateurs provisoires eux-mêmes aux services du Commissariat général aux questions juives (CGQJ), des listes d'autorisations étaient dressées, périodiquement mises à jour puis soumises aux autorités occupantes.
Les boutiques bénéficiant ainsi de cette tolérance échappaient momentanément au processus d'aryanisation. Elles étaient dès lors tenues d'afficher clairement leur nouvelle situation : plusieurs pancartes confectionnées par le Comité de coordination des œuvres de bienfaisance israélites devaient signaler ce changement “Restaurant juif, entrée interdite aux non juifs”, étaient apposées à la fois dans le local de l'établissement et sur sa façade.
La mission des administrateurs provisoires consistait alors à maintenir le statu quo, à veiller à ce que cette condition essentielle soit strictement observée. Le non respect de la règle entraînait la fermeture immédiate de la boutique et son aryanisation.
Pourtant, au fil des années d'occupation, ces autorisations allaient progressivement s'avérer n'être que de faux-semblants : l'arrestation suivie de la déportation dont furent victimes nombre de ces boutiquiers, le passage en zone sud pour certains autres, finirent par amenuiser le nombre de ces commerces d'alimentation au statut particulier.
Ces mesures de tolérance prises parcimonieusement par Vichy et l'occupant allaient au final faire figure de leurre. L'importance du nombre de déportés parmi les boulangers, bouchers, charcutiers, épiciers et restaurateurs de ces rues du Marais en traduit toute la tragique dimension. Au delà de l'aspect alimentaire, la zone environnante de la rue des Rosiers constitua le lieu géométrique traditionnel de l'immigration juive, comme se plaisait à le rappeler, une décennie plus tôt, le journaliste, critique littéraire et historien, Pierre Paraf. Le lourd bilan de la Shoah rapporté à ce quartier en souligne la terrible réalité.

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Citer

Jean Laloum. Une aryanisation paradoxale : les commerces d'alimentation dans le Marais. Alya Aglan, Michel Margairaz et Philippe Verheyde. La Caisse des dépôts et consignations, la Seconde Guerre mondiale et le XXe siècle., Albin Michel, pp.369-394, 2003, Mission historique de la Banque de France. ⟨halshs-00104529⟩
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Dernière date de mise à jour le 12/05/2024
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