La maison D.
Résumé
De la campagne à la ville, et de la misère pour beaucoup à l'abondance pour la plupart, le parcours de la France populaire depuis un siècle et demi est plus prodigieux encore que ne le laisserait entrevoir une liste d'inventions et de nouveautés. Le chemin parcouru dépasse les apparences matérielles. Les sombres logements d'une unique pièce -en grande majorité- ont laissé place aux claires maisonnées, déployant leurs multiples espaces. L'avènement de l'ère moderne a requis une imagination incessante des familles, pour réinventer des manières d'être dans une maison complexe, de vivre chaque moment isolé ou ensemble, d'aménager la scène familiale quotidienne. Il a fallu tâtonner, essayer. On oublie vite toutes les embûches et les détours, les abandons et les ratés : l'histoire n'est pas si simple, si déterminée.
Certaines familles ont résumé cette aventure en bien moins de temps, l'espace d'une seule génération.
La maison D. est de celles-là. Pauvre, inconfortable, elle aurait pu être abandonnée comme d'autres. Elle n'a cessé en fait d'être améliorée, jusqu'à offrir l'apparence actuelle : façade nette, claire, dure, aux arêtes tranchantes, qui donne presque une allure suburbaine à cette ferme saturée de gens, de vêtements de travail, de tronçonneuses, de vaches, de porcs, de chiens, de poules, de patates et de purin.
Or, construire ou reconstruire une maison, faire œuvre d'architecture même si modeste, c'est bien une manière de créer des lieux, des boîtes, de les agencer et de les désigner. D'assigner à chaque chose et à chaque personne sa place distincte, de l'inventer quand elle n'existait pas, de l'imaginer quand elle n'est encore qu'attente. Pourtant, pendant qu'elle accomplissait cette œuvre démiurge de ranger et d'arranger le nouveau monde de sa maison, Mme D. la laissait envahir par une autre œuvre, tout aussi personnelle et expressive.
Certaines familles ont résumé cette aventure en bien moins de temps, l'espace d'une seule génération.
La maison D. est de celles-là. Pauvre, inconfortable, elle aurait pu être abandonnée comme d'autres. Elle n'a cessé en fait d'être améliorée, jusqu'à offrir l'apparence actuelle : façade nette, claire, dure, aux arêtes tranchantes, qui donne presque une allure suburbaine à cette ferme saturée de gens, de vêtements de travail, de tronçonneuses, de vaches, de porcs, de chiens, de poules, de patates et de purin.
Or, construire ou reconstruire une maison, faire œuvre d'architecture même si modeste, c'est bien une manière de créer des lieux, des boîtes, de les agencer et de les désigner. D'assigner à chaque chose et à chaque personne sa place distincte, de l'inventer quand elle n'existait pas, de l'imaginer quand elle n'est encore qu'attente. Pourtant, pendant qu'elle accomplissait cette œuvre démiurge de ranger et d'arranger le nouveau monde de sa maison, Mme D. la laissait envahir par une autre œuvre, tout aussi personnelle et expressive.
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