Si l'on admet avec les philosophes, les anthropologues et quelques historiens, d'une part que l'espace n'est en rien une réalité naturelle mais une construction sociale, spécifique à chaque société et produite par des représentations et des pratiques collectives, et d'autre part que notre conception commune de l'espace n'est pas autre chose que la conception cartésienne de l'espace-étendue, on doit alors s'interroger sur la spatialité spécifique de la société médiévale, c'est-à-dire sur les représentations et pratiques collectives qui déployaient spatialement le social. La notion-clé de la spatialité médiévale semble bien avoir été non pas celle d'« espace », mais de « lieu », et les pratiques spatiales dominantes avoir eu pour objet la connexion des lieux (donc, géométriquement, le point et la ligne plutôt que l'aire), ce qui explique évidemment l'absence de toute entreprise de cartographie au sens propre du terme. De telles représentations et pratiques posent alors le problème de l'appréhension effective d'espaces qui, pour nous, sont des étendues, comme les finages ou les forêts. C'est justement ce que permet d'envisager une série de textes émis à propos d'une forêt de l'évêché de Wurtzbourg au XIVe siècle, le Salzforst. Ces textes, qui s'apparentent à un type très particulier de document propre à l'espace germanique, l'« aveu de droit » (Weistum), permettent d'appréhender la manière dont le Salzforst est constituée en un espace forestier, doté d'une délimitation et d'une spatialité particulières, à travers l'énonciation d'usages spécifiques et de mesures symboliques qui, tous, aboutissent à construire de manière ponctuelle ou linéaire la spatialité de ce qui est pour nous l'étendue forestière.