Analyse d'un roman espagnol de JM Merino, Las visiones de Lucrecia, Alfaguara, Madrid, 1996. Le roman de Merino suit fidèlement les étapes de l'histoire réelle de Lucrecia de León. Il s'approprie les éléments référentiels pour les réélaborer dans une trame fictionnelle qui relie dans une concaténation logique les morceaux du puzzle que constituent les milliers de pièces du procès et les mille pages des 400 rêves. Il en va de même des éléments inventés que nous avons mis en évidence, la rencontre avec Piedrola, la scène de pause chez le peintre, ont pour but de justifier, de rationaliser des scènes oniriques ultérieures. Culture du paradoxe, ces inventions contribuent à créer une illusion de réel et à expliquer rationnellement certains rêves qui deviennent ainsi une reproduction de la réalité. L'objectif du romancier n'est pas seulement de reconstituer l'histoire de Lucrecia, il utilise l'analyse de l'historien Kagan. Celui-ci ne fait pas seulement de Lucrecia une jeune fille inculte et innocente –au sens péjoratif du mot- il démontre qu'à ses dons de visionnaire précoce s'ajoute une curiosité intellectuelle qui lui permit de s'imprégner, au contact de ses « amis », d'une idéologie millénariste qui utilise les difficultés conjoncturelles pour en faire des sujets de peur. Il fait également de Lucrecia une jeune fille ambitieuse qui sut tirer, pour elle et pour sa famille des bénéfices de ses dons. Néanmoins le romancier bascule définitivement dans la fiction lorsque, dans sa note conclusive, il écrit que cette histoire lui a permis d'imaginer "une parabole qui continuerait peut-être à se projeter sur nous tandis qu'un nouveau siècle s'achève, comme si notre histoire devenait une succession de rêves ... dans lesquels dominent les cauchemars". Cela confirme la tendance qu'il avait parfois à effacer la frontière entre réel et songe et à faire de Lucrecia une illuminée. Il tranche définitivement dans sa dernière phrase dans le sens caldéronien de la vie est un songe.