A partir d'éléments extraits d'une recherche sur les représentations réciproques des communautés culturelles et le sentiment d'appartenance à la Nouvelle-Calédonie, il s'agit de s'interroger sur les divergences entre les Calédoniens d'origine européenne et les Kanak quant à leur façon d'envisager leur devenir respectif dans le « pays ». Malgré les inégalités persistantes qui touchent en premier lieu les Kanak et l'issue toujours plus incertaine de leur combat pour l'indépendance, la conception de leur place et de leur devenir en Nouvelle-Calédonie est quasiment toujours traduite de manière positive dans les entretiens. L'adaptation et la reformulation des valeurs et conceptions coutumières conduit les Kanak, confortés par les accords politiques, à se considérer comme le « peuple fondateur », reconnu dans sa primauté et devant présider aux destinées du pays en germe. Le discours des Calédoniens d'origine européenne est plus éclaté, allant d'une volonté affirmée pour certains à s'ancrer dans le pays au côté des Kanak, à une remise en cause pour les autres de leur existence comme communauté culturelle singulière, en affirmant être prêts à quitter le pays du jour au lendemain si l'indépendance était accordée. Il ressort de ces divergences deux façons de se situer vis à vis de l'histoire et de l'avenir. Même après s'être soumis puis adaptés au mode de vie occidental, les Kanak considèrent qu'ils sont restés fidèles aux aspects fondamentaux de leur cadre coutumier. Les éléments empruntés au passé traditionnel sont réinvestis comme symboles de la construction du pays et donnent sens à un avenir vis à vis duquel ils s'affirment en général confiants. Pour une bonne partie des Calédoniens d'origine européenne, les Événements restent une cassure et l'indépendance demeure une menace : régression économique, imposition d'un « système tribal », place mineure et exclusions racistes... Plutôt que d'opposer un temps « cyclique-mythique » chez les uns à un temps linéaire, rationnel et associé au progrès chez les autres, il s'agit de se demander si, dans un contexte post-colonial, ce n'est pas plutôt la capacité à donner un sens à une histoire commune en créant de nouveaux mythes fondateurs, affirmant des différences tout en les dépassant, qui conditionne une vision positive de l'avenir ?