L’hypothèse qui fonde les activités autour du livre d’artiste à l’université Rennes 2 est que c’est dans la pratique du livre d’artiste que sont posés aujourd’hui les termes d’un débat déterminant pour l’art et pour son avenir. C’est à ce titre que le phénomène du livre d’artiste est un objet capital de la recherche universitaire sur l’art. Ici, les interrogations peuvent être formulées en dehors des problématiques du marché qui voudrait imposer à l’artiste un rôle d’entrepreneur idéal, voire faire de l’entrepreneur de demain un idéal de l’artiste (P.-M. Menger). Mais, précisément, le livre d’artiste offre la possibilité d’expérimenter un autre rapport au marché dans la mesure où les lois du marché du livre n’ont pas beaucoup à voir avec celles du marché de l’art. D’où une première définition du livre d’artiste : autant la bibliophilie est une pratique du livre selon les principes du marché de l’art (livre comme objet précieux et rare, fétiche, tirage limité, fabrication manuelle, etc.), autant le livre d’artiste est une pratique de l’art selon les principes de la culture du livre (comme tous les livres, le livre d’artiste est un objet de fabrication industrielle). Son statut d’œuvre interroge la théorie esthétique, car il est forcément tributaire des conditions de sa production : qu’en est-il alors de la technè, de l’acte créateur ou de l’effet d’inspiration ? D’où une deuxième définition : comme tous les livres, le livre d’artiste est un objet d’usage quotidien, produit industriellement et reproductible selon sa nature intime, mais il est en même temps œuvre et document, comportant aussi bien images que textes. Le livre d’artiste emprunte au livre sa structure – troisième approche – à la fois matérielle (dispositif des pages reliées) et fonctionnelle (péritexte) dans laquelle vient se mouler une autre façon de faire de l’art : ni illustrer un texte poétique, ni maintenir les spécialités techniques (comme par exemple la gravure), ni considérer le livre comme objet sculptural, etc. Le livre cache bien plus qu’il ne montre au premier regard. Enfin, la quatrième définition insiste sur le fait que le livre est une pratique et une culture, irréductibles à sa seule forme, et le livre d’artiste tient compte des usages contemporains du livre. Aussi est-il un dispositif portable d’exposition qui lui permet de s’insérer dans la vie de tous les jours et de définir une nouvelle place pour l’art dans la société, envisageable même dans ses non-lieux. Ces définitions sont autant de problématiques décisives pour l’avenir de l’art dans nos sociétés, et, pour toutes ces raisons, le livre d’artiste est assimilable à une forme de recherche qui explore les fondations politiques, techniques, esthétiques et sociales de l’art ; le « Manifeste » y apporte attestations et arguments, et en envisage quelques conséquences, comme la place de l’art à l’université ou la lecture des innovations, dont l’art moderne a toujours été le pourvoyeur, à la lumière de l’exigence du progrès des connaissances.