Exploitation, alienation and the social division of labour in the May-June movement in France
Résumé
Until recently, one of the received ideas about May 68 in France was that the students' actions and the workers' strikes never went beyond a kind of 'abortive encounter.' It seemed self-evident that a genuine convergence between workers and students was ultimately impossible: their struggles were viewed as in essence distinct since the former were allegedly seeking to 'have more' and the latter to 'live differently.' According to this interpretation, the critique of 'exploitation' only came from workers and the critique of 'alienation' from students and intellectual professions. It is this reductive interpretation which I seek to challenge in this text by following a new line of enquiry into the ideological complexity of the May-June movement. I show how students' and workers' movements were in fact entangled. The two above-mentioned critiques were so much overlapping that the challenge to authority, which is one component of the critique of alienation, also borrowed from the language of equality, which might be thought to belong more properly to the critique of exploitation. These linguistic transfers led both movements to converge in a common challenge to the social division of labour. This text also argues that one way in which the legacy of 68 has been politically neutralized is precisely by dissociating and simplifying those two critiques of capitalism : the struggle against alienation became viewed as no more than a playful revolt against authority around the theme of moral liberation, while the struggle against exploitation became viewed merely as a consumerist aspiration for greater purchasing power.
Le texte propose un retour critique sur l'un des lieux communs des interprétations canoniques de Mai-juin 1968 en France, qui consiste à évoquer les luttes étudiantes et les grèves ouvrières en termes de " rendez-vous manqué ". Cette thèse de l'impossible rencontre a été déclinée à travers une série d'oppositions entre " réalisme " ouvrier et " illusion lyrique " gauchiste, classes populaires et rejetons de la bourgeoisie, désir étudiant d'" être (mieux) " et volonté ouvrière d'" avoir (plus) ". Selon cette interprétation, la critique de l'exploitation fut l'apanage exclusif des fractions intellectuelles du mouvement de Mai et la critique de l'aliénation celui des travailleurs manuels. En revenant sur la complexité idéologique du mouvement de Mai-juin 1968, le texte montre en premier lieu l'hybridation des deux critiques, et l'intrication de la contestation de l'autorité et des revendications d'égalité, des exigences d'émancipation individuelle et des demandes d'émancipation collective. Bien souvent, la remise en cause de la division verticale et horizontale du travail constitue le point d'articulation de ces enjeux, dont de nombreux exemples attestent par ailleurs la circulation à travers les frontières sociales et professionnelles. Le texte retrace en second lieu comment la neutralisation de 68 est notamment passée, dans les interprétations ultérieures et à travers un certain nombre de dispositifs, par la dissociation des critiques de l'aliénation et de l'exploitation, et par la réduction de la première à une simple révolte ludique contre l'autorité et pour la libération des mœurs, et de la seconde à de strictes revendications salariales et à une aspiration consumériste.