Dans le cadre de la philosophie anglo-saxonne, l'analyse de la connaissance de soi se modélise généralement en rapport avec le problème de la connaissance d'autrui, pensé comme autre soi-même. On considère que cette dernière connaissance est problématique, puisqu'on prend généralement prétexte de la position d'extériorité d'autrui pour en dégager une connaissance moindre que la connaissance de soi, au motif qu'on connaîtrait l'autre sur le mode des objets (à travers l'appréhension de son seul corps), alors que le soi se connaîtrait de manière introspective. Une conséquence en est souvent que la connaissance de soi est jugée certaine alors que la connaissance d'autrui est marquée par l'incertitude, puisque l'on n'a accès à lui que par un intermédiaire extérieur qui peut tout autant le dissimuler. Or Ryle, dans son livre fameux, The Concept of Mind1, soutient l'idée que la connaissance de soi ne diffère pas de la connaissance d'autrui, pour la simple et bonne raison qu'il ne saurait y avoir qu'un seul type de connaissance, celle qui permet d'avoir une connaissance objective de ce dont elle prétend rendre compte - sans qu'il y ait aucun privilège accordé à un type de connaissance introspectif. C'est pourquoi l'analyse rylienne anticipe la socio-analyse bourdieusienne quand celle-ci entend rendre compte de manière objectivante des conditions objectives du comportement des agents sociaux (y compris le plus intime), qui sont à euxmêmes inconnues. Pour Bourdieu, seule une analyse objective ou scientifique peut autoriser la connaissance de soi, puisque le soi peut s'illusionner sur soi-même. Autrement dit, rejoignant Nietzsche, c'est pour lui la position subjective qui introduit un biais et il convient de se donner certaines conditions pour acquérir une lucidité quant à soi. Étant donnée la dénonciation du privilège de l'intériorité propre à une telle démarche (conjuguée à son anti-scolastisme), on pourrait s'attendre à ce qu'elle s'accorde avec une conception wittgensteinienne cherchant à dissiper le mystère de la connaissance d'autrui (Ryle revendiquait cette proximité). Or tel n'est peut-être pas le cas, puisque Wittgenstein entend rendre compte du caractère spécifique de la connaissance en première personne et réintroduit par là même une dissymétrie là où (sur le plan qualitatif) Ryle et Bourdieu entendent l'effacer.